Leroi va les rĂ©unir Ă  nouveau mais sans le vouloir. Il s'est amourachĂ© de la fiancĂ©e de Raoul, le fils d'Athos, et pour se dĂ©barrasser de ce rival, il l'envoie au front, le condamnant Ă  une mort certaine. Athos jure alors de venger son fils. 🎬 Regarde Maintenant đŸ“„ TĂ©lĂ©charger. Voir L'Homme au masque de fer (1998) streaming vf hd

À propos de L'Homme au masque de fer Les cĂ©lĂšbres mousquetaires se sont sĂ©parĂ©s. Athos s’est retirĂ© sur ses terres et consacre son temps Ă  l’éducation de son fils Raoul; Aramis est devenu gĂ©nĂ©ral des jĂ©suites; Porthos se languit en attendant l’occasion de ferrailler. Seul d’Artagnan est restĂ© fidĂšle au roi qui l’a fait capitaine des mousquetaires. Le roi va les rĂ©unir Ă  nouveau mais sans le vouloir. Il s’est amourachĂ© de la fiancĂ©e de Raoul, le fils d’Athos, et pour se dĂ©barrasser de ce rival, il l’envoie au front, le condamnant Ă  une mort certaine. Athos jure alors de venger son fils. Bande d'annonce de L'Homme au masque de fer OĂč pouvez-vous regarder L'Homme au masque de fer en ligne ? Films suggĂ©rĂ©s Tous pour un, et un pour tous": les trois mousquetaires et d'Artagnan se retrouvent dans ce rĂ©cit de cape et d'Ă©pĂ©e, d'action et d'aventure. LĂ©onardo DiCaprio joue de double rĂŽle du cruel Louis XIV et celui du mystĂ©rieux prisonnier qui porte le masque de fer. Paris meurt de faim, mais le roi de France s'intĂ©resse d'avantage aux affaires des dĂ©bauchĂ©s de la court.
Le polar imagine 2013 CHAPO En bande organisĂ©e Pour son dossier de rentrĂ©e, la Revue du Projet » a sollicitĂ© des auteurs de polar. La commande ? une nouvelle noire ou rose ou verte..., courte 6000 signes, sur 2013. Comment imaginent-ils l’avenir proche ? 2013, ce n’est pas tout Ă  fait de la science fiction, Ă  peine de l’anticipation. Une vingtaine d’auteurs ont acceptĂ© de participer Ă  l’exercice. Merci Ă  elles et eux. Attention, ces Ă©crivains ne sont pas des adeptes de la boule de cristal ni du marc de cafĂ©, ils n’ont probablement aucun don divinatoire, peu de compĂ©tence en matiĂšre de prospective. Ce qu’ils nous racontent ici est pure invention, tout droit sorti de leur imaginaire. Mais leurs libres histoires nous en apprennent sur le monde rĂ©el sans doute autant que bien des traitĂ©s. Ils divaguent mais ce qu’ils nous donnent Ă  voir est plus vrai que vrai. Comme le dit le sociologue Luc Boltanski dans Enigmes et complots. Une enquĂȘte Ă  propos d’enquĂȘtes » Paris, Gallimard, 2012, le roman policier a en commun avec la sociologie la mise en question de la rĂ©alitĂ© apparente, pour atteindre une rĂ©alitĂ© qui serait Ă  la fois plus cachĂ©e, plus profonde et plus rĂ©elle ». Le polar, en effet, aime se coltiner au rĂ©el, au monde. Un rĂ©el, soit dit en passant, qui tend Ă  se rĂ©inviter dans la littĂ©rature en gĂ©nĂ©ral, dans la blanche » comme on dit dans la noire », ou au théùtre, voir le dernier festival d’Avignon. Du cĂŽtĂ© des polardeux, c’est une vieille tradition que de questionner la sociĂ©tĂ©, depuis Dashiel Hammett jusqu’à Patrick Manchette en passant par Henning Mankell ou Jean Amila-Meckert A ne pas manquer, Ă  ce propos, l’exposition que lui consacre la BILIPO, la BibliothĂšque des littĂ©ratures policiĂšres, 48 rue du Cardinal Lemoine, Paris 5Ăš, intitulĂ©e Meckert-Amila de la Blanche Ă  la SĂ©rie Noire ». Jusqu’au 13 octobre. Ces derniers temps, les gens du polar semblent avoir repris goĂ»t au dĂ©bat public. Ils ont Ă©tĂ© nombreux par exemple Ă  voter ou/et Ă  appeler Ă  voter Jean-Luc MĂ©lenchon voir la pĂ©tition jointe. Comme beaucoup, ils furent heureux de la campagne et frustrĂ©s du rĂ©sultat. La droite est dans les choux, allĂ©louia, pourtant le monde de 2013 que ces auteurs nous annoncent ici est plutĂŽt inquiĂ©tant. S’y bousculent fachos de tout poil, manipulateurs cathodiques, sorciĂšres » redoutables, politiciens madrĂ©s, agences de sĂ©curitĂ©, goinfres de la finance, mĂ©dias sans vergogne, salauds ordinaires, rage et racisme . ParanoĂŻa » diront les grincheux. Nous verrons au contraire dans ces pages une belle libido, une Ă©nergie communicative Ă  dĂ©cortiquer, alarmer, critiquer, rĂ©sister. On a presque envie d’ajouter que si ces auteurs n’étaient pas venus Ă  la politique, c’est la politique qui serait venue Ă  eux. Crime et politique en effet n’ont jamais fait si bon mĂ©nage. Sans aller jusqu’à Gomorra » de Roberto Saviano, on est tentĂ© d’écrire que la dĂ©rive criminelle de la vie publique, en ces temps de finance triomphante, dans bien des pays, se banalise. La mondialisation, c’est aussi la mondialisation du crime. Dans un essai paru juste avant l’étĂ©, Une histoire criminelle de la France », chez Odile Jacob, signĂ© Alain Bauer et Cristophe Souliez, on peut lire par exemple Le crime et la finance ne vivent plus seulement cĂŽte Ă  cĂŽte. Une partie de la finance mondiale a choisi d’investir avec le crime, et parfois dans les activitĂ©s criminelles ». L’actualitĂ© nous offre une cascade de faits divers » oĂč financiers, puissants et brigands bambochent, des caves du Vatican Ă  la banque de la Reine d’Angleterre, des petits arrangements de Sciences Po aux grandes arnaques de JP Morgan, des fraudes de Barclays, UBS ou CrĂ©dit Suisse, dĂ©tournant les taux de rĂ©fĂ©rence des produits financiers une valeur de 500 000 milliards de dollars, tout de mĂȘme... jusqu’au blanchiment de l’argent de la drogue par HSBC. Au dĂ©but de l’étĂ© Le Monde, 28 juin 2012, un collectif de 82 magistrats cosignaient une tribune intitulĂ©e Agir contre la corruption ». Cet appel de juges rappelait que ces dix derniĂšres annĂ©es, en France, et singuliĂšrement sous Nicolas Sarkozy, tous les dispositifs de lutte contre la dĂ©linquance financiĂšre avaient Ă©tĂ© fortement dĂ©mantibulĂ©s. Sarkozy, d’ailleurs, s’y Ă©tait engagĂ©, devant le MEDEF rĂ©uni en UniversitĂ© d’étĂ© le 30 aoĂ»t 2007 Trop de contentieux viennent embarrasser nos juridictions correctionnelles et notre droit pĂ©nal. 
 La pĂ©nalisation de notre droit des affaires est une grave erreur, je veux y mettre un terme. » Message entendu. L’Etat s’est dĂ©sengagĂ©, laissant les affairistes affairer. Le juge Jacques Gazeaux, qui a passĂ© six ans au pĂŽle financier de Paris, peut, en cet Ă©tĂ© 2012, affirmer On ne lutte plus contre la corruption ! ». Et Ă  la question La France est-elle un pays corrompu ? », il rĂ©pond, catĂ©gorique Oui, bien sĂ»r. » C’est un peu comme si le crime, en un siĂšcle, avait changĂ© de stature, d’ampleur, d’ambition. Il y a juste cent ans, en 1912/13, c’était l’époque de la bande Ă  Bonnot oĂč des nanars modernistes ils opĂ©raient en voiture quand les flics Ă©taient encore souvent Ă  cheval braquaient la SociĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale. Aujourd’hui ce serait plutĂŽt la SociĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale, allons, restons prudents, disons ce serait plutĂŽt les banques en gĂ©nĂ©ral qui opĂšrent en bande organisĂ©e » et braquent le pauvre monde. Le crime prospĂšre, le polar aussi. Fatalement. GĂ©rard Streiff Les huitres, ça ne se garde pas Jeanne Desaubry Avril 2012 Deux heures ! Merde ! Putain de prostate ! Monsieur Meunier tĂątonne des orteils, le pavĂ© est froid, oĂč sont ses savates ? Se traĂźner jusqu’aux toilettes, pisser trois gouttes, ne pas tirer la chasse, les voisins ont rĂąlĂ©, ces emmerdeurs, comme s’ils se gĂȘnaient pour mettre la radio Ă  fond, leur radio de bobos gauchistes... Mais aprĂšs tout, ça fait des Ă©conomies
 Boire un verre d’eau Ă  la cuisine
 LĂ -bas, une fenĂȘtre est allumĂ©e. Ça fait des mois que cette fenĂȘtre reste allumĂ©e, nuit aprĂšs nuit. Et chaque fois, la question qu’y a-t-il derriĂšre cette fenĂȘtre ? A cent-cinquante, deux cents mĂštres de lĂ , cette tache de lumiĂšre, toutes les nuits
 Quelle maison ? Quel appartement ? Et puis au matin, la question lancinante disparait, avalĂ©e par les soucis du jour. C’est que les journĂ©es de monsieur Meunier ne sont pas plus agrĂ©ables que ses nuits. Il y a cette saloperie de concierge qui ne lui monte jamais son courrier, elle le fait exprĂšs, ses lettres prennent toujours deux jours de retard. Ça, c’est depuis qu’il a gueulĂ© parce que le local poubelle puait. Il y a aussi le gamin du troisiĂšme, qui hurle tous les jours Ă  la mĂȘme heure. Une bonne fessĂ©e de temps en temps, ça ne fait pas de mal, le mĂŽme doit ĂȘtre insupportable. Mais s’il pouvait gueuler moins fort ! De toute façon, dans l’immeuble, il ne parle Ă  personne et personne ne lui parle. Meunier descend tous les matins acheter son pain et son journal, parfois une tranche de jambon, et les jours de marchĂ©, il pousse jusqu’à la place pour acheter un petit filet de poisson. C’est pas avec sa retraite qu’il pourrait se payer des ortolans tous les midis. *** Finalement, ce sont les sacs poubelle qui lui ont offert la solution. Noirs, en plastique Ă©pais, au moins du deux cents litres. Ce matin lĂ  il pleut, le camion est en retard, les Ă©boueurs font fissa. Et puis en voilĂ  un a qui glisse. Faut dire, les Ă©quipes elles sont toutes africaines ! Alors faut pas s’étonner si le travail est fait Ă  moitiĂ©. C’est pas que monsieur Meunier soit raciste, mais enfin
 On se comprend Ă  demi-mot
 Le boulot bien fait, c’est plus forcĂ©ment la prioritĂ©, hein ? En tombant, le grand noir a laissĂ© Ă©chapper un sac qui s’est ouvert, rĂ©pandant son contenu au sol. Meunier n’a jamais vu ça. Des milliers de bouts de tissus. Des chutes, toutes de la mĂȘme couleur. Le retraitĂ© s’arrĂȘte, stupĂ©fait comment a-t-il pu passer tous les jours devant cette maison sans remarquer le nombre de bacs jaunes ? Un portail en fer, une allĂ©e qui passe derriĂšre un pavillon en pierres meuliĂšres, et puis tout au fond, une autre maison plutĂŽt dĂ©crĂ©pite. On n’en voit pas grand-chose, et encore en se dĂ©cortiquant le cou pour mettre l’Ɠil en face d’une fente dans le mĂ©tal. Son cabas Ă  la main, sa baguette, son journal, il manque Ă  monsieur Meunier un bĂ©ret pour incarner la France honnĂȘte et qui bosse bien, celle qui vote bien, et n’oublie pas de surveiller ses voisins. Meunier n’est jamais rentrĂ© si vite chez lui. A sa fenĂȘtre de cuisine, le voici qui prend des repĂšres. De chez lui, on voit moins bien, l’angle limite la visibilitĂ©. Mais oui, ça doit ĂȘtre ça
 Au bout de quelques jours, il en est certain un atelier clandestin. Ils sortent des poubelles tous les jours, et il y a toujours des sacs en plus des bacs de recyclage. Comment a-t-il pu passer si longtemps Ă  cĂŽtĂ© de ça, bon sang ! Monsieur Meunier n’a pas internet, tout ça c’est pour les jeunes qui ne foutent rien de leurs journĂ©es au lieu d’aller bosser. Mais une feuille et un crayon c’est tout aussi bien. Il est assis Ă  sa table de cuisine, il tire la langue. Il y a longtemps qu’il n’a pas Ă©crit, Ă  part le mot anonyme qu’il a accrochĂ© Ă  la porte de son voisin du-dessus aprĂšs une nuit agitĂ©e. Cette fois il s’applique. Il a dĂ©cidĂ© de ratisser large. Faire le modĂšle, puis, une fois qu’il en sera content, le recopier trois fois. Faudra bien que quelqu’un rĂ©agisse. Le procureur de la RĂ©publique, la SĂ©cu, le commissaire de la ville. Trois enveloppes, trois timbres. Devant la boite aux lettres, Meunier sourit. Ça leur fera les pieds Ă  tous ces salauds qui viennent piquer le boulot des Français. Et ça paierait pas de droits de douanes, ni d’impĂŽts, ni de taxes, alors que lui il se contente d’une retraite misĂ©rable ! Si tout le monde rĂ©agissait comme lui, si tout le monde se dĂ©fendait un peu, tiens, il y aurait encore des usines en France. De son temps, le boulot manquait pas. Aujourd’hui, un pĂšre de famille doit choisir entre s’inscrire au chĂŽmage et bosser au noir. Heureusement, il y a des hommes politiques qui comprennent ça. Et mĂȘme des femmes. Tiens, sa lettre, l’idĂ©e lui est venue aprĂšs un discours de la fille de son pĂšre. Pas les mĂȘmes coups de mentons, mais efficace, la fillette ! Pour mieux guetter, monsieur Meunier a ressorti une vieillerie qui lui vient de sa mĂšre. Ne jamais rien jeter, c’est le secret. Les jours passent, le vieux s’impatiente. Il bĂącle les courses, ne quitte plus son poste d’observation. Nuit aprĂšs nuit, la fenĂȘtre s’obstine Ă  rester allumĂ©e, le narguant. Quand les fourgons de police arrivent, il est aux premiĂšres loges. Il abandonne ses savates. Il passe une veste. Il se hĂąte, aussi vite que ses vieille guiboles arthritiques lui permettent. Son cƓur tape, il n’y croyait plus. Il y a les voitures avec des flics en civil, et deux fourgons. Meunier arrive au bon moment. DerriĂšre le cordon qui a Ă©tĂ© tendu, il a le temps de voir tout un tas de face de rats escortĂ©es d’une main de fer par des hommes en uniforme. Des hommes, des femmes. Il y en a une qui a un petit sur la hanche et qui pleure en trĂ©buchant tous les deux pas. ComĂ©die ! Les autres ont l’air hĂ©bĂ©tĂ©, leurs yeux clignent dans la lumiĂšre. Rentrez chez vous, monsieur, il y a rien Ă  voir ici. La premiĂšre fois, Meunier a reculĂ© d’un pas, sans rien dire. Il continue de se dĂ©lecter du spectacle. Ce sont des sacs qu’on sort maintenant, les mĂȘmes que ceux qu’il a dĂ©jĂ  vus sur le trottoir. Ils portent des Ă©tiquettes qu’un flic remplit soigneusement. Qu’est-ce qui se passe ? Du bruit, des cris, de l’agitation
 Meunier se rapproche de la limite. Un homme se dĂ©bat comme un beau diable entre deux policiers plus hauts que lui d’au moins deux tĂȘtes. A peine plus grand qu’un gamin, il baragouine Ă  toute vitesse. Les traits dĂ©formĂ©s par la rage, il essaie Ă  toute force d’échapper aux gars qui le cramponnent, indiffĂ©rents. Dans sa fascination, Meunier s’approche Ă  toucher le dos d’un policier qui monte la garde. L’homme se retourne. On vous a dĂ©jĂ  dit de rentrer chez vous. Il y a rien Ă  voir ici ! Allez ! DĂ©gagez ! Non mais dites donc, jeune-homme, vous pourriez avoir un peu de respect pour un homme qui a l’ñge de votre pĂšre. Je suis un bon Fançais moi ! C’est moi qui les ai dĂ©noncĂ©s ces niaquouĂ©s lĂ  ! L’homme toise Meunier. Pas un mot, mais une expression de dĂ©goĂ»t profond marque ses traits un instant avant qu’il ne hausse une Ă©paule et ne se retourne. *** 1er Janvier 2013 Sur la table, les restes de la veille. Comme tous les ans, son fils a dit qu’il passerait peut-ĂȘtre et n’est finalement pas venu. L’immeuble a rĂ©sonnĂ© toute la nuit d’échos de fĂȘtes Ă  tous les Ă©tages. Meunier jette les huitres. Il n’a pas rĂ©ussi Ă  en avaler une seule. Il mange de moins en moins, il maigrit. Le crabe doit l’avoir attrapĂ©. Mais il n’ira pas chez le mĂ©decin, pas envie de savoir. Il ne dort plus du tout. L’autre nuit, il Ă©tait plantĂ© devant sa fenĂȘtre de cuisine, comme bien souvent. Il a soudain remarquĂ© que la fenĂȘtre Ă©tait de nouveau allumĂ©e. Depuis combien de temps a-t-elle rĂ©apparu ? Il ne sait pas. Il en Ă©prouve un sentiment Ă©trange, une sorte de contentement. Il se sent soudain moins seul. Il y a eu tous ces changements de politique auxquels il ne comprend pas grand-chose. Assez pour savoir qu’une nouvelle lettre ne serait plus suivie d’effets. Alors, il reste Ă  sa fenĂȘtre Ă  regarder la lumiĂšre, lĂ -bas. Il redoute Ă  prĂ©sent qu’elle s’éteigne et l’entraĂźne dans sa nuit. Dernier ouvrage paru Dunes froides, Krakoen Cessez le jeu ! Didier Daeninckx C’est une mĂ©nagĂšre de moins de cinquante ans qui dĂ©couvrit le premier cadavre alors qu’elle promenait son labrador prĂšs du square du gĂ©nĂ©ral Laperrine, comme chaque matin, Ă  l’orĂ©e du bois de Vincennes. Le corps Ă©tait dissimulĂ© sous les feuilles dont les platanes se dĂ©barrassent Ă  cette Ă©poque de l’annĂ©e. Quand les policiers le dĂ©gagĂšrent de son linceul vĂ©gĂ©tal, ils constatĂšrent qu’il s’agissait d’un homme d’une trentaine d’annĂ©es, qu’on l’avait proprement Ă©gorgĂ©. Sa tĂȘte reposait sur un enjoliveur de roue de voiture qui lui faisait comme une aurĂ©ole. Le deuxiĂšme assassinĂ© fit l’ouverture du journal rĂ©gional d’Aquitaine le lendemain. Ce fut cette fois un machiniste bordelais venu prendre son travail, au dĂ©pĂŽt, qui le trouva assis Ă  sa place, aux commandes de son tramway. La gorge bĂ©ante, il s’était vidĂ© de son sang qui gluait sur les manettes. La victime, un retraitĂ© des postes, habitait Libourne oĂč il avait occupĂ© jadis un siĂšge, au conseil municipal. La troisiĂšme personne Ă  perdre la vie, cette semaine-lĂ , en se frottant le gosier sur une lame de rasoir, fut une jeune intermittente du spectacle d’à peine vingt ans. Un vigile du Super Mammouth de Grandville la retrouva dans la chambre froide, suspendue Ă  un crochet de boucher, au milieu des carcasses de moutons. Le quatriĂšme individu proprement saignĂ© le fĂ»t chez lui, dans le quartier de l’Estaque, Ă  Marseille. Le tueur avait pris soin de l’installer devant sa tĂ©lĂ©vision avant de glisser la cassette d’un vieil Ă©pisode de Thierry La Fronde dans le magnĂ©toscope. Le dernier crime de la sĂ©rie, le plus sordide, eut la ville de Caen pour cadre. La cible Ă©tait cette fois un agriculteur normand que le meurtrier avait charcutĂ© au larynx, comme Ă  son habitude, et dont il avait enfoui la dĂ©pouille sous des centaines de kilos de pommes destinĂ©es Ă  ĂȘtre transformĂ©es en cidre bouchĂ©. Il s’en fallut d’ailleurs de peu que le cadavre passe Ă  la moulinette pour rendre son jus au milieu des fruits mĂ»rs. Les limiers de Paris, Bordeaux, Grandville, Marseille, de Caen travaillĂšrent chacun de leur cĂŽtĂ© avant que l’aveuglante similitude du mode opĂ©ratoire ne les oblige Ă  coopĂ©rer. On avait, d’évidence, affaire Ă  un killer en sĂ©rie. Afin de ne pas froisser les susceptibilitĂ©s, les patrons des diffĂ©rentes sections rĂ©gionales concernĂ©es confiĂšrent la coordination de l’enquĂȘte Ă  un collĂšgue lyonnais, une ville Ă©pargnĂ©e jusque-lĂ  par le surineur. Leur choix ne pouvait ĂȘtre plus judicieux dĂšs qu’il eut pris connaissance de l’ensemble des dossiers, le lieutenant RĂ©musat se frappa le front du plat de la main. Il estomaqua ses confrĂšres en dĂ©clarant. Je crois savoir d’oĂč ça vient ! Il n’en dit pas davantage et retourna chez lui pour visionner quelques unes des huit mille cassettes vidĂ©o dont les tranches multicolores tapissaient les murs de son appartement. Il enregistrait tout, c’était son dada. Trois heures plus tard, il retrouva le cĂ©nacle des enquĂȘteurs et livra sans coup fĂ©rir le nom du tueur multirĂ©cidiviste. Il s’appelle FrĂ©dĂ©ric Latenaire. Ne cherchez pas dans vos dossiers, il n’a jamais Ă©tĂ© condamnĂ©. C’est un dĂ©butant. L’émoi Ă©tait tel dans le pays qu’on se dĂ©cida Ă  l’apprĂ©hender, une fausse piste valant mieux que l’immobilisme. ArrĂȘtĂ© sur son lieu de travail, un atelier d’aĂ©ronautique toulousain en difficultĂ©, l’homme ne se fit pas prier pour reconnaĂźtre ses crimes, mais il se refusa Ă  en livrer les mobiles. Ce fut le lieutenant RĂ©musat qui les dĂ©voila Ă  la barre, lors du procĂšs en Assises, quelques mois plus tard. Je suis un fana de jeux tĂ©lĂ©visĂ©s, Monsieur le PrĂ©sident. J’ai la collection complĂšte des enregistrements de La famille en Or, du Juste Prix, des Chiffres et des lettres, de La Roue de la Fortune, de Qui veut gagner des Millions, de Qui veut prendre sa place ?
 DĂšs que j’ai lu les procĂšs-verbaux des diffĂ©rentes enquĂȘtes, je me suis souvenu d’une Ă©mission diffusĂ©e, il y a environ un an. Un concurrent avait Ă©tĂ© Ă©liminĂ© parce qu’il ne se rappelait pas du nom de la plaque ronde qui dĂ©core les roues de voitures
 - Un enjoliveur
 murmura le public. - Exactement ! Ça m’a fait penser Ă  celui qu’on a dĂ©couvert sous la tĂȘte du premier cadavre. Puis un autre participant Ă  la mĂȘme Ă©mission avait subi un sort identique, le renvoi au nĂ©ant, en ne trouvant pas le nom du vĂ©hicule urbain roulant sur rails
 - Un tramway
 susurra le public. - Parfaitement ! AprĂšs, tout s’enchaĂźnait. Le troisiĂšme ne connaissait pas le nom du dictateur italien Mussolini qui a fini sa vie pendu Ă  un
 crochet de boucher. Le quatriĂšme joueur ne savait pas que c’était Jean-Claude Drouot qui jouait le rĂŽle de Thierry La Fronde, dans un cĂ©lĂšbre feuilleton des annĂ©es soixante. Le dernier, enfin, avait butĂ© sur la signification de palindrome », qui dĂ©signe un mot qu’on peut lire dans les deux sens, comme Éve, la femme initiale, pour laquelle Adam croqua
 - La pomme, complĂ©ta le public. Le juge s’était alors impatientĂ©. -Nous sommes dans l’enceinte d’un tribunal, lieutenant. La barre devant laquelle vous vous tenez n’est pas le pupitre de Questions pour un champion ! Quel rapport cela a-t-il avec la sĂ©rie des crimes de Latenaire ? -C’est trĂšs simple j’ai dĂ©couvert qu’il a participĂ© Ă  un jeu tĂ©lĂ©visĂ© en mĂȘme temps que les cinq victimes
 Le Maillon faible
 Elles ne sont pas parvenues en finale, mais, dĂšs le premier tour, elles l’avaient toutes expulsĂ© en inscrivant son prĂ©nom sur leur ardoise, au feutre noir, alors qu’il Ă©tait le seul Ă  ne pas avoir commis d’erreur. Il n’a pas supportĂ© cette injustice, cette humiliation subie devant des millions de tĂ©lĂ©spectateurs
 Il voulait laver son honneur. C’est devenu une idĂ©e fixe. Il a fini par Ă©liminer mĂ©thodiquement ses Ă©liminateurs. Le policier fut interrompu par de longs hurlements de l’accusĂ©, des cris de bĂȘte blessĂ©e dans lesquels on parvenait Ă  comprendre -C’est faux ! Je ne suis pas le maillon faible
 Non, je ne suis pas le maillon faible
 Les jurĂ©s de la cour d’Assises n’eurent mĂȘme pas Ă  Ă©crire son nom sur un petit papier pour confirmer sa culpabilitĂ©. Ils savaient aussi que la prison n’était pas la solution. Un collĂšge de psychiatres Ă©tudia Latenaire sous toutes les coutures et se prononça pour l’irresponsabilitĂ©. Il fut transfĂ©rĂ©, pour le reste de son existence dans une unitĂ© de soins psychiatriques intensifs. Il partage aujourd’hui le sort de dizaines d’ñmes faibles. Le personnel mĂ©dical le traite exactement de la mĂȘme maniĂšre que les autres malades. À une exception prĂšs sa prĂ©sence est interdite en salle de tĂ©lĂ©. Avec l’aimable autorisation de Extrait de L’Espoir en contrebande », Cherche Midi, Goncourt 2012 de la nouvelle. Son dernier ouvrage paru. L’invisible JerĂŽme Leroy Je m’appelle MarĂ©chal. Philippe MarĂ©chal. J’habite Ă  Serigny-le-Cocu, dans la Sarthe. On est 231 inscrits. Il y a eu 130 voix pour Marine Le Pen. Dont la mienne. Et j’en suis fier. Je suis la France invisible ». Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Jean-Pierre Pernaut sur TF1. Je suis la France qui travaille, moi. Pas comme tous les assistĂ©s. Je vais voter Sarkozy aux deuxiĂšme tour. Sarkozy a compris le message. Assez d’assistanat. Assez d’Arabes. Assez d’insĂ©curitĂ©. Par exemple, la semaine derniĂšre, au bal du samedi de TrouvallĂ©-le-Minus, le fils Maudru a pissĂ© sur l’orchestre et il s’est battu avec le bassiste. L’insĂ©curitĂ©, c’est un drame, je vous dis. Il a fallu faire venir une ambulance du Mans. Oui, il n’y a plus de mĂ©decin Ă  Serigny-le-Cocu ni Ă  TrouvallĂ©-le–Minus. ForcĂ©ment, avec l’insĂ©curitĂ©. Il n’y a plus de poste non plus et ça c’est aussi de la faute Ă  l’insĂ©curitĂ©. Le fils Maudru, toujours, ce voyou. Il est pas immigrĂ©, mais c’est tout comme il vient de Biroute-La-Tondue prĂšs de Jouy-en-Consanguine, Ă  15 bornes. On l’appelle Biroute-la-Tondue Ă  cause de ce que le village a tondu une fille qu’avait couchĂ© avec les Allemands. Faudra penser Ă  tondre celle qu’ont couchĂ© avec les Arabes. En mĂȘme temps, comme Arabe, je connais que Mouloud, le chauffeur du bus scolaire. Un assistĂ© qui bosse dix heures par jour pour conduire nos enfants blancs Ă  la derniĂšre Ă©cole du coin. Moi, des enfants, j’en ai neuf. Manquerait plus que ma femme, la Josette, avorte ou prenne la pilule comme ces salopes du Mans. On est catholique, nous. MĂȘme si je vais jamais Ă  la messe. Les allocations familiales, on les mĂ©rite. Comme je mĂ©rite l’allocation adulte handicapĂ© pour mon ainĂ© de 25 ans qui est un peu retardĂ©. A Serigny-le-Cocu, les mauvaises langues disent que c’est parce que la Josette l’aurait fait avec son frĂšre. Mais bon, on n’est pas des assistĂ©s quand mĂȘme, on est des invisibles. C’est la tĂ©lĂ© qui le dit, donc c’est vrai. C’est comme les subventions de Bruxelles pour que je me tourne les pouces et que je fasse pas trop de lait ni de cĂ©rĂ©ales, je les mĂ©rite. Pas comme cette feignasse de Mouloud qui fait le prĂ©tentieux parce que sa fille est au lycĂ©e, au Mans. Avec mes impĂŽts, Ă©videmment. Et la prĂ©fĂ©rence nationale, alors ? Donc, le premier mai, je serai Ă  la Concorde, Ă  la fĂȘte du vrai travail » comme elle a dit Marine Le P.., euh pardon, comme l’a dit Sarkozy. Et les copains dans le car, quand j’arriverai avec les mĂŽmes et Josette, il feront Ah, enfin, MarĂ©chal, te voilĂ . » Et ils rigoleront. Un jour, faudra quand mĂȘme que je leur demande pourquoi. Dernier ouvrage paru Le Bloc, SĂ©rie Noire TGV EXPRESS Paris-Lyon , 6 mai 2013 Chantal Montellier Judith Alessandrini, une plasticienne sexagĂ©naire, cherche sa place dans ce train bondĂ©. Tous ces voyageurs inquiets, nerveux
 Ca ressemble Ă  une sorte d’exode. Mais un exode sans panique, presque cool ». Tous font semblant d’ĂȘtre calmes, dĂ©tendus, souriants comme s’ils partaient en week end, en vacances... mais en rĂ©alitĂ© ! En rĂ©alitĂ©, c’est l’angoisse. La grande. Celle qui sert le cƓur, noue les tripes, donne la nausĂ©e, fait vaciller
 Judith se sent comme un dĂ©serteur, une fuyarde. Elle fuit la vie dans la capitale, devenue impossible. Trop chĂšre, trop dure, trop dĂ©gradĂ©e
 Le quartier de l’artiste, dans le 18e, est devenu en quelques mois une sorte de Bowery, cette partie du sud de Manhattan, qui fut le symbole de la grande dĂ©pression Ă©conomique des annĂ©es 30. De plus en plus de parisiens, de tous milieux, mangent dĂ©sormais, comme aux Etats Unis, grĂące Ă  ce qu’on appelle des food’s tickets ». Food’s tickets ! » Comme si les mots tickets de nourriture » Ă©taient trop difficiles Ă  prononcer. AmĂ©ricanisĂ©s jusque dans la rĂ©cession, la dĂ©gringolade. AprĂšs le rĂȘve amĂ©ricain » le cauchemar ! Le Soleil vire au Vert ici aussi *. *** Flamby, le prĂ©sident des bobos, Ă©lu en mai 2012 n’a rien pu faire contre le monde de la finance. MĂȘme pas deux ans de "rĂ©sistance » pour l’honneur, comme un Mitterrand. la gauche a Ă©tĂ© au gouvernement pendant 15 ans et nous avons ouvert les marchĂ©s Ă  la finance et aux privatisations, libĂ©ralisĂ© l’économie, il n’y a rien Ă  craindre ! » avait-il dĂ©clarĂ© Ă  la presse anglo-saxonne au dĂ©but de sa campagne. MĂȘme si les illusions Ă©taient petites, la dĂ©ception est grande et a Ă©voluĂ© trĂšs vite en dĂ©pression pour les uns, en rĂ©volte pour les autres. Sur la plate forme du train prĂȘt Ă  partir, Judith Ă©change quelques mots avec une amie, via son tĂ©lĂ©phone portable – Oui, oui, Val, ça y est, je m’en vais. Je quitte Paris. Je n’en peux plus. Mon quartier est devenu invivable. Comme il y a pas mal de gens de couleur, les racistes de Le Pen s’en donnent Ă  cƓur joie
 J’ai pris des coups plusieurs fois en tentant de m’interposer... Ils s’en prennent mĂȘme aux enfants
 Je ne tiens plus ! Je vais dans le Forez, chez un ami qui va m’hĂ©berger quelque temps
 Je te donnerai son mel. Bises
 Oui, Ă  toi aussi ! Bon courage. Tout ça est dĂ©ment, songe t-elle
 ce train de l’angoisse, de la fuite, et moi lĂ  dedans avec ma valise, mon ordinateur portable et mon chat assommĂ© par les tranquillisants. » *** Sur les siĂšges en face de la plasticienne, deux hommes de sa gĂ©nĂ©ration, d’apparence prospĂšre, style profs du supĂ©rieur Ă  la retraite, un chauve portant des lunettes Ă  monture d’acier, et un bronzĂ© ventripotent. – Figure-toi Christian, soupire le chauve, que j’ai une polyarthrite – AĂŻe ! Moi c’est les dents...Aaargh ! Ce n’est qu’un dĂ©but la dĂ©glingue continue. Enfin, on en a bien profitĂ© quand mĂȘme !!! Et aprĂšs vous, les mouches », pense Judith. A sa droite, prĂšs de la fenĂȘtre, une jolie jeune fille aux cheveux bruns et bouclĂ©s, trĂšs sexy. Ecouteurs sur les oreilles, elle est plongĂ©e dans un vieux polar des annĂ©es 80 ”C’est toujours les autres qui meurent” de Jean-François Vilar. Judith se souvient de ce livre qui se situe dans le Paris de 1981, peu aprĂšs l’élection de l’homme Ă  la rose et aux dents limĂ©es. Le narrateur, Victor Blainville, gauchiste tendance Trotsky, aime photographier les passages parisiens. Un jour, il tombe en arrĂȘt, passage du Caire, devant ce qu’il prend d’abord pour un mannequin installĂ© dans la position -obscĂšne- de la derniĂšre Ɠuvre de Marcel Duchamp, “Étant donnĂ©s
” En regardant mieux, il se rend compte qu’il s’agit d’une vraie femme en chair et en os, et qu’elle est morte, assassinĂ©e. DĂ©but 80, un peu moins pauvre qu’aujourd’hui, elle avait un atelier prĂšs de la Bastille. Jean-François n’habitait pas loin et il se croisait souvent chez une libraire et dans des vernissages. Ils avaient sympathisĂ©s et dĂ©jeunaient parfois ensemble, de prĂ©fĂ©rence autour d’un plateau de fruits de mer. Entre deux huitres ils parlaient des peintres surrĂ©alistes. Judith aimait surtout la mexicaine Frida Khalo et soutenait que les femmes de cette mouvance Ă©taient de bien meilleures artistes, plus inspirĂ©es et plus originales, que les hommes. FĂ©minisme outrancier ? Non ! conviction sincĂšre. Vilar, lui, ne jurait que par Marcel Duchamp. A quelques dĂ©cennies de distance, dans ce train de la survie, Judith Alessandrini s’interroge sur ce livre du passĂ© -Pourquoi ce choix de “Etant donnĂ©s... » Une Ɠuvre » de ce Duchamp qu’elle n’a jamais compris et qu’elle trouve obscĂšne. Elle l’avait avouĂ© Ă  Jean-François Etant donnĂ©s
 On y est condamnĂ© au voyeurisme, car on ne voit rien d’autre qu’un sexe de femme, un con, celui de la femme mise Ă  nu. Ton Duchamp fait de nous des voyeurs » Vilar, pas complexĂ©, avouait qu’il en Ă©tait un. La femme mise Ă  nue
 » Mais, ne sommes nous pas toutes des femmes mises Ă  nues
 ? Ne l’ai-je pas Ă©tĂ© moi mĂȘme trop souvent ? » se demandait Judith, les yeux posĂ©s sur la jeune fille brune aux cheveux bouclĂ©s. Elle songe Ă  68 qui a commencĂ© par une rĂ©volte d’étudiants pour pouvoir jouir sans entrave » et s’est terminĂ© par les aventures sexuelles d’un babouin » prĂ©sidentiable, DSK. Les hommes prospĂšres, eux, n’ont d’yeux que pour la jolie lectrice de JFV. Ils la bouffent littĂ©ralement des yeux, ils en bavent malgrĂ© leur Ăąge avancĂ© ou est-ce Ă  cause de lui ?. Quand par hasard leur regard se pose sur Judith, c’est avec la plus totale indiffĂ©rence. Il faut dire qu’elle a passĂ© l’ñge d’ĂȘtre consommĂ©e. Je ne suis donc plus une proie, en principe, songe t-elle. C’est toujours ça
 » Quittant un instant la dĂ©sirable beautĂ© brune du regard, le prĂ©nommĂ© Christian explique -J’ai achetĂ© une maison dans la Haute Loire. Avec Chouchou on va y faire un jardin potager et Ă©lever des poules, quelques moutons. Faut organiser la survie, sauver ses fesses. Paris n’est plus sĂ»r, mĂȘme dans les beaux quartiers. – Le chauve, prĂ©nommĂ© Edouard, approuve - C’est vrai. Paris n’est plus sur
 Le cerveau reptilien est de retour partout ! Pourquoi ? Il Ă©tait parti ? » se demande Judith. – Ouais ! Ca griffe, ça mord, ça saigne
 approuve Christian. – L’effondrement s’accĂ©lĂšre et le tour de la France arrive. Ca devient vraiment sĂ©rieux. Il commence Ă  y avoir des problĂšmes de bouffe
 Je vais retirer mon Ă©pargne de la banque avant qu’elle soit vampirisĂ©e. – Si tu veux mon avis, y’a qu’une seule chose Ă  faire se rĂ©-en-raciner. Avoir une Base Autonome Durable, une BAD
 reconstruire de l’autonomie. J’ai aussi achetĂ© des armes et je m’entraine. Ca Ă©nerve Chouchou, mais c’est pour son bien et celui des enfants. Notre bien Ă  tous. J’apprends la menuiserie, la plomberie. La semaine derniĂšre j’ai mĂȘme fabriquĂ© des latrines
 Chouchou, elle, fait des conserves
 On a des copains avec nous, on est un groupe de sept
 Et toi ? Tu t’organises ? -Moi ? Je pars vivre au BrĂ©sil avec Carlotta. La qualitĂ© de vie est bien meilleure qu’ici et puis c’est son pays d’origine, il lui manque. On a achetĂ© un ranch sur la cĂŽte du nord-est de Sao Paulo.. On a vue sur la mer, chutes d’eau et piscine en mĂȘme temps. Le paradis. On a aussi des pĂąturage avec du bĂ©tail. C’est un couple de fermiers qui s’en occupent. – Pas mal ! La France va pas te manquer ? – Les aĂ©roports fonctionnent encore. – Certes
 Mais ça coĂ»te des ronds. – On en a. J’ai Ă©pousĂ© une femme riche, camarade ! Laide, mais riche ! – On peut pas tout avoir ! Quand tu penses qu’en 70, on Ă©tait marxistes !rires – Il n’y a que les imbĂ©ciles qui ne changent jamais. – Alors on doit ĂȘtre trĂšs trĂšs intel
 ! Christian ne put jamais finir sa phrase. Une bombe posĂ©e sur la voie par des terroristes » expĂ©dia le train et tous ces passagers dans le dĂ©cor. Le chat fut sauf et retrouva instincts et libertĂ©. Dernier ouvrage paru Marie Curie. La fĂ©e du radium. Editions Dupuis. 2013 et des poussiĂšres
 JosĂ© NOCE Quand il levait les yeux de ses papiers, ou mieux, quand il reposait sa tĂȘte sur le bord du haut et dur dossier de son siĂšge, il la voyait distinctement, dans chacun de ses dĂ©tails, dans le moindre trait, comme si son regard acquĂ©rait quelque chose de subtil et d’aigu et que le dessin renaissait dans toute la prĂ©cision et la mĂ©ticulositĂ© avec lesquelles, en l’an 1513, Albrecht DĂŒrer l’avait gravĂ©. Leonardo Sciascia Le chevalier et la mort Le haut commissaire Chevalier Ă©tait perplexe. Certes il pouvait passer pour un dĂ©fenseur des Beaux Arts. Parce qu’il avait vaguement peint lui-mĂȘme Ă  l’aquarelle des genres de marines mystiques, avec l’eau bĂ©nie par Monseigneur le Cardinal Chiache en personne. Mais de lĂ  Ă  ce que pour son cadeau de dĂ©part on allĂąt lui offrir une trĂšs vieille allĂ©gorie gravĂ©e ? Sur le coup il avait cru Ă  une farce grossiĂšre. Le vrai cadeau officiel allait lui arriver ensuite escortĂ© des rires gras des collĂšgues en livrĂ©e impeccable. Que nenni ! Attention, lui avait-on prĂ©cisĂ© devant son air contrit, ce n’est pas l’original d’accord, mais quand mĂȘme une excellente copie certifiĂ©e d’époque, cachet de cire et tout le tralala. Vu le prix astronomique demandĂ© ! D’ailleurs cette gravure allait bientĂŽt fĂȘter ses 500 ans et quelque, cinq siĂšcles, un demi-millĂ©naire ! Une valeur sĂ»re, une sorte d’investissement culturel
 En outre son cher mentor Ă©tait fini, liquidĂ©. Or, il avait suffisamment fait briller ses dorures pendant le quinquennat bling bling, le tout rĂ©cemment investi haut commissaire, pour profiler bas, et dĂ©s lors faire prĂ©cipiter tant qu’il en Ă©tait encore temps son dĂ©part en retraite dorĂ©e. Toute façon il n’aurait pas tardĂ© Ă  sauter, question de jours ! Avant la haine autour de lui Ă©tait diffuse et polie, dorĂ©navant elle Ă©tait infuse et pleine d’échardes. Depuis la mi mai 2012 ses subordonnĂ©s ajoutaient Ă  la dĂ©fĂ©rence rĂ©glementaire des Ă©pices d’ironie cavaliĂšre. DerriĂšre chaque salut huilĂ© il pressentait des bras d’honneur et des majeurs phalliques, des onomatopĂ©es corporelles. Il avait donc proposĂ© de joindre l’utile Ă  l’agrĂ©able, et de rĂ©unir le mĂȘme soir, en toute simplicitĂ©, son pot de retraite anticipĂ©e et celui de l’an neuf. Il se retrouva en fin d’aprĂšs-midi trĂšs arrosĂ©e, Ă  sa demande expresse, avec l’injonction ferme qu’on ne le dĂ©rangeĂąt sous aucun prĂ©texte, pour la derniĂšre fois dans son bureau immense tapissĂ© exclusivement de photos officielles de l’ex prĂ©sident. Oui voilĂ , qu’ils continuassent donc Ă  festoyer un peu sans lui. Il partirait le dernier, comme d’habitude. C’est ça en taxi, avec ses derniers cartons 
 Il rangea fĂ©brilement les notes codĂ©es, les dossiers sulfureux, les fiches des subversifs recensĂ©s en cinq ans d’écoutes illicites, d’une carriĂšre fulgurante rĂ©compensĂ©e de moultes dĂ©corations tricolores. Quant au petit carnet noir fermĂ© par un fil de fer spĂ©cial dissimulĂ© dans le tiroir secret, lui il eut droit Ă  sa poche rĂ©volver maintenant disponible. Au bout d’une heure de repli stratĂ©gique, papiers minutieusement dĂ©truits ou remisĂ©s par devers soi, il ne lui restait plus face Ă  lui que son cadeau, posĂ© cĂŽtĂ© pile pour conjurer le sort. C’était Ă©crit dans un cachet ancien Le Chevalier, la Mort et le Diable. Gravure au burin sur cuivre, cop. XIII, cabinet d’estampes, inv
 Il la retourna lentement avec apprĂ©hension. Il voyait maintenant les deux extrĂȘmes topographiques du dessin morbide en noir et blanc avec une acuitĂ© dĂ©mentielle. Le chien courant sous le cheval du chevalier en armure, heaume levĂ©, et le chĂąteau perchĂ© au loin. Entre les deux il ne voyait quasiment plus rien. Ou plutĂŽt si, il voyait des formes, mais il ne distinguait plus leurs dĂ©tails, mĂȘme avec ses nouvelles lunettes, mĂȘme en se rapprochant tout contre. Sauf peut-ĂȘtre, et encore Ă  force de cligner les yeux larmoyants, ce graphe Ă©trange rajoutĂ© visiblement Ă  la main, minuscule, courant le long de la corne du diable DĂ©gage ! Ça dansait comme dans le dĂ©sert sous le sirocco. Il eut l’impression subitement que la gravure Ă©tait en relief ajourĂ©. Et vu le nombre impressionnant de petites bulles englouties juste avant, il pensa largement avoir dĂ©passĂ© les trois D, en gloussant in petto... Il s’écroula sous l’effet conjuguĂ© d’un choc brutal du cĂŽtĂ© du cƓur et d’un fou rire avinĂ© consĂ©cutif Ă  sa propre plaisanterie sur les D pipĂ©s. Les conversations Ă©nervĂ©es, la musique, Ă©touffĂ©es par le blindage cessĂšrent alors brusquement derriĂšre la porte capitonnĂ©e. Petit Ă  petit l’énorme porte s’ouvrit en grinçant, avec la tessiture d’une chauve souris hurlant son i panoramique crescendo devant des micros d’inĂ©gale qualitĂ©. Je supervise tout comme prĂ©vu !, dit l’inspecteur chef Leonardo Ray Ă  voix basse, sortant de son Ă©tui le rĂ©volver de service du haut commissaire. Vous, assurez le reste ! DerriĂšre lui Ă  la queue leu leu, en civil ou en uniforme protocolaire on attendait patiemment son tour d’entrer en scĂšne. On effaça toute trace ambigĂŒe. On Ă©limina scientifiquement les indices pharmaceutiques. On prĂ©empta le petit carnet noir. Et pile au coup de feu final on fit sauter dans la liesse unanime un gros bouchon de liĂšge millĂ©simĂ© 
 Madame Solange Chevalier ivre de grands crus classĂ©s dĂ©glutis en solo, rĂ©veillĂ©e par des feux d’artifice abscons, hystĂ©risa au tĂ©lĂ©phone l’absence manifeste de son Ă©poux trĂšs haut placĂ©. On finit par retrouver le 1er janvier 2013 et des poussiĂšres, enfermĂ© Ă  l’intĂ©rieur de son bureau, feu Monsieur le haut commissaire divisionnaire Henri Chevalier, la tempe grossiĂšrement perforĂ©e par son arme personnelle. Son nez aquilin avait cessĂ© d’égoutter son sang sur une coupe en cristal brisĂ©. La main droite agrippait encore l’arme fatale au dessus d’une gravure Ă©difiante en noir et blanc maculĂ©e de rouge bistre. Quand avec prĂ©caution on examina l’allĂ©gorie souillĂ©e, on dĂ©couvrit qu’à la place du visage de la Mort, Ă©tait grossiĂšrement dĂ©coupĂ©e et contrecollĂ©e la tĂȘte du candidat sortant
 Dernier ouvrage paru Le monde est un bousillage », Krakoen. FATIGUE Mouloud Akkouche Nuit du 4 janvier 2013, Six ans aprĂšs avoir tuĂ© mon fils, j’ai trouvĂ© un boulot de concierge Ă  Sciences Po Paris. AttablĂ© derriĂšre un micro, je fixe le grand amphi dĂ©sert. Dans quelques heures, ce sera la cohue les Ă©lĂšves ont invitĂ© des anciens de l’école devenus des personnalitĂ©s publiques. Du beau linge au mĂštre carrĂ©. Je vĂ©rifie la prĂ©sence des haut-parleurs posĂ©s hier soir et descends de l’estrade. Regagner ma loge ou pas ? Pourquoi pas me balader dans les travĂ©es ?Un nom est scotchĂ© sur chaque siĂšge. Nombre de politiques de gauche et de droite ayant traĂźnĂ© leurs guĂȘtres Rue Saint Guillaume » se retrouveront. Le nouveau prĂ©sident et son prĂ©dĂ©cesseur assis trĂšs prĂšs. Sans compter des patrons de presse, animateurs tĂ©lĂ©, universitaires, cinĂ©astes, Ă©crivains
 Bastien, mon fils, a Ă©tudiĂ© ici presque deux ans. Je remonte sur l’estrade et branche le micro central. Un, deux
 un, deux
. ». Papa, Pas facile de te dire tout ça de vive voix. Je prĂ©fĂšre te l’écrire. Depuis des annĂ©es, tu bosses comme un fou pour que je puisse Ă©tudier sans me soucier du fric. T’es brillant fiston, faut que tu te barres de ce quartier. Combien de fois tu me l’as dit ? Mais dĂ©solĂ©, je t’annonce que je vais tout plaquer. Pourquoi ? Pas Ă  cause de la difficultĂ© des Ă©tudes ; je fais partie des meilleurs Ă©lĂšves. Non, il s’agit d’autre chose, une chose invisible. TrĂšs profonde. Ici, je ne me sens pas chez moi. D’autres, venant du mĂȘme milieu que moi, s’y sentent bien et vont dĂ©crocher Ă  terme de bons postes dans le public ou le privĂ©. Un ascenseur social pour eux. A quel prix ? Pour rĂ©ussir, ils ont dĂ» singer les Ă©lĂšves habituels » de cette Ă©cole, se vĂȘtir comme eux, rire aux mĂȘmes plaisanteries
 Bref, se conformer Ă  leurs rĂšgles. Ici, nos mots du quotidien, ceux de mes copains de la citĂ© de l’Espoir », n’ont plus la moindre valeur. Finis les Narvalo, dikave, nachave, quĂ©rave »  Ces expressions sont-elles sales ? Et nos vannes de quartier, les tiennes aussi papa, sont qualifiĂ©es de vulgaires. Pas de ça entre gens de bonne compagnie. Bien sĂ»r, ils apprĂ©cient certains humoristes utilisant notre langage quotidien ou dans des fictions tĂ©lĂ© ; friands d’exotisme de pĂ©riphĂ©rie. Pourtant, j’ai essayĂ© d’effacer, de tuer en moi ces mots et cet humour soi-disant vulgaire, pour leur ressembler. En vain. Sache que les profs et les autres Ă©lĂšves quelques-uns sont des amis ne sont responsables d’aucune maniĂšre de mon malaise. Juste que la greffe sociale n’a pas pris. Pas assez armĂ© pour devenir un tueur made in Sciences Po » ? Tueur policĂ©. J’écarte le micro et promĂšne mon regard dans la salle. Etrange silence. Pas pire que quand je l’ai trouvĂ© sur son lit, une boĂźte de comprimĂ©s vide sur la moquette. Pourquoi l’avoir poussĂ© Ă  continuer ? Depuis sa mort, je n’ai plus quittĂ© sa chambre , j’ai voulu vivre ce que je lui avais fait endurer. Lecteur que du Parisien » et de l’Equipe », je me suis avalĂ© tous ses livres d’Histoire, droit, Ă©conomie, appris par cƓur ses cours. Me mettre dans sa peau. La chair de ma chair que j’avais poussĂ© au suicide. Il avait laissĂ© un Post-it sur son bureau Si la classe capitaliste ne formait qu’un seul parti politique, elle aurait Ă©tĂ© dĂ©finitivement Ă©crasĂ©e Ă  la premiĂšre dĂ©faite dans ses conflits avec la classe prolĂ©tarienne. Mais on s’est divisĂ© en bourgeoisie progressiste et en bourgeoisie rĂ©publicaine, en bourgeoisie clĂ©ricale et en bourgeoisie libre-penseuse, de façon Ă  ce qu’une fraction vaincue peut toujours ĂȘtre remplacĂ©e au pouvoir par une autre fraction de la mĂȘme classe Ă©galement ennemie. C’est le navire Ă  cloisons Ă©tanches qui peut faire eau d’un cĂŽtĂ© et qui n’en demeure pas moins insubmersible Jules Guesde L’école sĂ©curisĂ©e par les flics, des invitĂ©s s’installent peu Ă  peu dans l’amphi. Certains, farouches adversaires devant les camĂ©ras, s’embrassent. Tous vĂȘtus et parlant de la mĂȘme maniĂšre, uniformisĂ©s comme les cagoulĂ©s au pied des barres. Des photocopies avec sourire. Quand la salle est pleine, je me dirige vers ma loge. L’étudiant, plutĂŽt un p’tit gars sympa, me bouffe du regard. Il est bĂąillonnĂ© et menottĂ© Ă  son siĂšge. Je compose le numĂ©ro du directeur. Je veux diffuser la lettre de mon fils avant le dĂ©but de la rĂ©union. Si vous refusez, je fais sauter ma loge avec l’élĂšve. ». Un membre de la sĂ©curitĂ© nĂ©gocie derriĂšre la porte. Je vous donne dix minutes, pas plus ! ». Il s’éloigne. 
 Sans doute naĂŻf, je pensais que ma prĂ©sence Ă  l’IEP serait un jour utile pour mes proches, faire entendre leur voix. Trop lu Jack London, Zola, Russel Banks et d’autres. Une grosse erreur. Ici, la majoritĂ© travaille -consciemment ou inconsciemment- pour perpĂ©tuer le pouvoir et les privilĂšges d’une minoritĂ© la leur. Certes, je crache dans la soupe, une soupe que je ne peux plus avaler. Incapable de mettre un mouchoir sur mes origines sociales. Pourquoi pĂ©rĂ©quation ou aporie seraient des termes plus dignes que enculĂ© ou narvalo ? Je refuse de me soumettre Ă  leur langue, les laisser souiller ma langue et mes madeleines de quartier ». Mon enfance vaut leur enfance, mes souvenirs aussi importants que les leurs. Faut que je quitte cette putain d’école ! Je sais bien que ma dĂ©cision te mettra les boules, Ă  maman aussi. Je suis bouffĂ© de culpabilitĂ© en pensant Ă  tous vos sacrifices. Mais je dois arrĂȘter de me mentir et vous mentir. Prendre une dĂ©cision. De plus en plus tiraillĂ© Ă  l’intĂ©rieur, je ne ressemble plus Ă  mes potes de la citĂ© ; ils ne m’ont jamais adressĂ© le moindre reproche mais je sens le poids de leur regard. Et ne veux pas ressembler Ă  mes amis de Saint Guillaume. Je n’arrive plus Ă  tenir le grand Ă©cart. Si ça continue, je vais devenir barge. Trop fatiguĂ© pour rĂ©sister. Bastien, Ma voix, entendue Ă  l’intĂ©rieur de l’école et dans la rue, laisse place au silence. Peu avant, plusieurs de ses copains de la CitĂ© de l’Espoir avaient investi le centre opĂ©rationnel du mĂ©tro, d’autres celui du RER et d’une gare. La lettre de Bastien diffusĂ©e par les haut-parleurs de service. Elle circule aussi sur les rĂ©seaux sociaux. Derniers mots d’une fatigue invisible. Dernier ouvrage paru Si Ă  50 ans, t’as pas ta Rolex, chez ATELIERS IN8 . Le parapente GĂ©rard Streiff A Pia Petersen Adrien Poupard prit son Ă©lan, il s’avança Ă  grandes enjambĂ©es, son parapente Ă©tait parfaitement dĂ©ployĂ©. Du collet d’Allevard, il allait se jeter dans le vide, une nouvelle fois, et voler. Il ne se lassait pas de sa façon de s’envoyer en l’air, de planer, bienheureux, comme son hĂ©ros Sam Lowry, dans Brazil de Terry Gilliam. C’est alors qu’il croisa, un Ă©clair, une nanoseconde, le regard narquois d’un de ses collĂšgues, qui se tenait un peu isolĂ© sur le replat herbeux, Ă  sa droite. Et Poupard comprit. Que ce serait son dernier plongeon. Un courant ascendant le porta trĂšs haut quand sa voilure se scinda instantanĂ©ment en deux, comme sectionnĂ© au kuter. Il sembla un instant figĂ© dans les airs, puis sa chute commença. Et toute l’histoire lui revint en accĂ©lĂ©rĂ©. La journĂ©e pourtant avait bien commencĂ©. Dans le TGV de Paris, il avait ramassĂ© sur un siĂšge un gratuit » et lu son horoscope. Balance il Ă©tait nĂ© fin septembre Entreprenant, vous aurez le chic pour soulever des montagnes ! ». Il ne croyait pas un mot de toutes ces conneries mais l’information lui avait tout de mĂȘme fait plaisir, comme quoi... Adrien Poupard Ă©tait conseiller financier au CrĂ©dit GĂ©nĂ©ral. Quadra et cĂ©libataire, il avait fait toute sa carriĂšre dans la banque. Il aimait ça, la bureaucratie du chiffre, la procĂ©dure budgĂ©taire, l’étiquette » de la trĂ©sorerie. Dans le milieu, il Ă©tait connu et respectĂ©. Plusieurs fois, on lui avait proposĂ© de passer au Central », Ă  la DĂ©fense, salle des marchĂ©s, de devenir trader ; il aurait mieux gagnĂ© sa vie, c’est clair, mais il prĂ©fĂ©rait pourtant le contact de la clientĂšle. C’est pas qu’il aimait les gens, il prenait mĂȘme souvent un vrai plaisir Ă  les dominer, les humilier, mais justement, c’est ce contact-lĂ  qui lui aurait manquĂ© au Desk des traders. Depuis l’automne 2012, deux grandes activitĂ©s occupaient ces journĂ©es il conseillait les gros clients pour leur placement de sĂ©curitĂ© », ce que la presse populaire -et populiste- appelait Ă©vasion fiscale ou fraude. En ce domaine, Adrien Poupard s’était spĂ©cialisĂ© sur la Suisse, valeur sĂ»re, Ă©ternelle, osons le mot. Et puis il vendait aussi une sĂ©rie de titres de banques ibĂšres, du Caixa catalunya » ou du Banco de Valencia » ; en clair il se dĂ©barrassait de l’espagnol du grec, il n’en n’avait plus, tout avait Ă©tĂ© bazardĂ© en un temps record durant l’étĂ©. Comme il Ă©tait mĂ©thodique, Poupard faisait la Suisse le matin et l’Espagne l’aprĂšs midi, façon de parler. Ce train-train aurait pu durer, Poupard Ă©tait plutĂŽt satisfait de son existence, il n’était pas du genre Ă  se plaindre. Il avait fait ses classes sur le terrain, il connaissait toutes les ficelles de son mĂ©tier et Ă©tait devenu au fil des ans un excellent commercial. Qui, au CrĂ©dit GĂ©nĂ©ral, assurait les meilleures ventes de toute l’Ile de France, mĂȘme pour les placements les plus scabreux ? Poupard ! Qui Ă©tait capable de vendre des petits pois qui ne veulent pas cuire sans jamais s’attirer le moindre problĂšme ? Poupard, encore et toujours Poupard. IndiffĂ©rent, mĂ©thodique, c’était un vrai professionnel », un dĂ©sespĂ©rĂ© tranquille que rien n’émouvait. Il ne faisait pas de politique, Ă©coutait peu la radio ni ne regardait la tĂ©lĂ©. Quand, rĂ©cemment, une bande d’IndignĂ©s avait envahi les bureaux de l’agence aux cris de Occupons le marchĂ© ! », il avait trouvĂ© l’initiative non seulement ridicule mais rĂ©voltante. Son seul dada, c’était le parapente, qu’il pratiquait le week-end, dans les Alpes, avec un groupe de collĂšgues de l’agence. Bref Adrien Poupard Ă©tait un battant, un banquier de fer. Mais, ces derniĂšres semaines, il s’était passĂ© dans sa vie un minuscule Ă©vĂ©nement. Un client lui avait offert un livre ; c’était un de ses clients de l’aprĂšs-midi, un libraire qui avait fait faillite, notamment parce que la banque, donc Poupard, lui avait refusĂ© un crĂ©dit. L’ex libraire distribuait les ouvrages qu’il avait pu sauver de sa vitrine. Poupard s’était ainsi retrouvĂ© avec un vieux roman noir de Jean Meckert, Les coups ». Le destin du hĂ©ros, jeune prolo trĂšs Ă  cran des annĂ©es trente, n’avait pas grand chose Ă  voir avec sa propre histoire. Et pourtant... Au dĂ©but, lui qui ne lisait jamais rien d’autre que des livres de compte ou des traitĂ©s de fiscalitĂ©, avait tournĂ© autour du bouquin, puis il l’avait rapidement feuilletĂ©, puis picorĂ© et finalement il l’avait lu. Et relu ; et aimĂ©. Il en parcourait volontiers des morceaux quand il avait une pause. FĂ©lix, le hĂ©ros, l’avait Ă©tonnĂ©, puis troublĂ©, remuĂ©. Et Poupard, depuis une petite semaine, s’était mis Ă  parler littĂ©rature avec ses clients. Pas avec ceux du matin, pas avec les clients Ă  fort potentiel », les CFP comme on disait dans le jargon ; eux Ă©taient des obsĂ©dĂ©s de la monnaie et n’entendait que des mots comme fonds, finances, ressources ; tout ce qui ne tournait pas autour de l’oseille Ă©tait pour leurs oreilles une langue Ă©trangĂšre. L’aprĂšs midi, c’était pas le mĂȘme public. Poupard faisait face alors Ă  des gogos Ă  qui il fallait fourguer des placements pourris. Curieusement, il se sentait Ă  prĂ©sent un peu plus proches d’eux ; il les regardait et se demandait comment aurait rĂ©agi le hĂ©ros de Meckert avec ce genre de clients. C’était idiot comme association d’idĂ©es mais c’était ainsi. Une fois sur deux, il ne se donnait plus la peine de dĂ©rouler l’argumentaire de la banque, il lui arriva mĂȘme de mettre en garde ses vis Ă  vis sur la filouterie dont ils risquaient d’ĂȘtre les victimes. Evidemment, ça ne pouvait pas durer. Vous ĂȘtes malade, Poupard, ou quoi ? » Hier, c’était un vendredi, un vendredi 13, un client avait voulu absolument de l’espagnol ; Poupard avait tentĂ© de le dissuader ; le type s’était plaint auprĂšs du responsable du bureau, qui convoqua illico l’agencier. Il joua les incrĂ©dules puis, devant l’acrimonie du boss, il parla de son subit dĂ©goĂ»t pour les opĂ©rations qu’il devait mener, il Ă©voqua mĂȘme la vanitĂ© de l’argent. Son chef se braqua, l’insulta. Poupard Ă  son tour monta sur ses grands chevaux et, sans transition, dĂ©balla tout les fonds d’origine improbable qui avaient transitĂ© tout au long de l’annĂ©e passĂ©e sur des comptes dont il avait gardĂ© la copie ; les fripoulleries diverses dont il avait Ă©tĂ© le tĂ©moin ; la liste des comptes cachĂ©s qu’il semblait connaĂźtre par coeur ; les noms de gros clients en indĂ©licatesse avec le fisc, etc C’est bien ce que je pensais, z’ĂȘtes vraiment malade, Poupard ! » lança le chef en le chassant de son bureau. Toute l’agence avait entendu l’esclandre mais les collĂšgues, unanimes, dĂ©tournĂšrent la tĂȘte quand il retourna Ă  sa place. Adrien Poupard entendait encore la voix de son chef alors qu’il voyait le sol s’approcher. ...malade Poupard... ». Il eut juste un dernier regret, celui de ne pas pouvoir choisir son point de chute. Tant qu’à faire, il se serait bien rĂ©tamĂ© la gueule sur l’agence locale du CrĂ©dit GĂ©nĂ©ral. Dernier ouvrage paru La mer oubliĂ©e », Editions du bout de la rue jeunesse. Et le Falcon fut foudroyĂ©... Maxime Vivas. L’histoire ci-aprĂšs du sort tragique d’un homme et de ce qui s’ensuivit me fait douter de la perspicacitĂ© de Marx selon lequel se sont les masses qui font l’histoire. Car, figurez-vous que, moins d’un an aprĂšs son Ă©lection, le prĂ©sident de la RĂ©publique nous a quittĂ©s. C’était un homme admirable que les Français avaient pris en 2010 pour un notaire ventripotent, mais qui avait, en 2011, changĂ© de lunettes et perdu des kilos. RĂ©sultat, en 2012, le peuple souverain avait souscrit au dicton sur l’intĂ©rĂȘt des merles quand on manque de grives. Or, c’est parce que la foudre a carbonisĂ© en 2013 le Falcon dans lequel il voyageait, Ă  moins que ce ne soit parce qu’un pneu de sa voiture a Ă©clatĂ© Ă  170/180 kilomĂštres Ă  l’heure, ou plutĂŽt, me souffle-t-on, parce qu’il a subi un ƓdĂšme de Quincke consĂ©cutif Ă  l’expĂ©rimentation d’une nouvelle teinture pour les cheveux, peu importe, en tout cas, le prĂ©sident est allĂ© rejoindre Jean JaurĂšs ou Guy Mollet ? et je suis devenu le chouchou des sondages et de l’establishment mĂ©diatique. – Quels ministĂšres formeraient Ă  votre avis un gouvernement idĂ©al ? C’est Alain Duhamel qui voulut savoir ça. Je n’avais pas intĂ©rĂȘt Ă  Ă©luder. Duhamel, c’est un pro de chez Pro. Il est ou a Ă©tĂ© chroniqueur au Monde, Ă  LibĂ©ration, aux DerniĂšres Nouvelles d’Alsace , Ă  Nice-Matin , au Point , Ă  Europe 1 , Ă  France Culture , Ă  RTL , Ă  Canal +, Ă  France 2 et j’en oublie. A 73 ans, aprĂšs 50 ans de mĂ©tier de pĂ©dagogue expliquant la politique aux Français, l’homme reste rusĂ© comme un Jack Lang. J’avais prĂ©alablement convoquĂ© mon Ă©quipe de campagne dans mon bureau pour prĂ©parer l’émission. C’est mon fidĂšle Eric W. FaridĂšs qui a parlĂ© d’anaphore, tandis que le reste du staff se divisait en trois les uns ouvrant des yeux comme ça, d’autres plongeant dans leurs notes, d’autres approuvant de la tĂȘte pour faire croire qu’ils avaient compris. – Comme vous le savez, a dit FaridĂšs en se levant l’anaphore est une figure de rhĂ©torique qui consiste Ă  commencer des phrases par les mĂȘmes mots. Le procĂ©dĂ© rythme le propos, souligne et muscle l’idĂ©e, sur fond incantatoire agrĂ©mentĂ© d’une tonalitĂ© naturellement musicale. Il s’est approchĂ© du paper-board en ajoutant que l’anaphore produit un effet de symĂ©trie. Avec un feutre noir, il a tracĂ© le schĂ©ma suivant A_____ / A_____ – Parfait, ai-je dit sans avoir compris un traĂźtre mot Ă  son embrouillamini. PrĂ©pare-moi Ă  tout hasard un texte anaphorique dans lequel je parlerai de la composition de mon futur gouvernement. Ce qu’il fit, ce que j’appris par cƓur et que je pus dĂ©biter en faisant mine d’improviser. Et ce qui donna ceci devant 10 millions de tĂ©lĂ©spectateurs – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de la rĂ©partition des richesses et de l’abolition de l’insĂ©curitĂ© sociale. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de l’émancipation au travail, de l’autogestion et de la citoyennetĂ© dans l’entreprise. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de la hausse des salaires et de la baisse du prĂ©cariat. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre chargĂ© de l’organisation rationnelle de l’économie assurant la subordination des intĂ©rĂȘts particuliers Ă  l’intĂ©rĂȘt gĂ©nĂ©ral. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de la taxation des mouvements spĂ©culatifs, en charge de la lutte contre la corruption. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre des nationalisations, en charge de la lutte contre la dĂ©linquance patronale. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre du droit du sol et de l’immigration amie. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre du prĂ©sider autrement » et de la moralisation de la vie politique. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre du partage des savoirs, de la crĂ©ation, de la recherche et de l’Education Populaire. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de la libĂ©ration des mĂ©dias, de la libertĂ© de la presse et de son indĂ©pendance Ă  l’égard de l’Etat et des puissances d’argent
 – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre des transports gratuits Ă  toutes heures. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de l’Europe sociale. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de l’écologie rĂ©elle, du vivre mieux, du bio, du commerce Ă©quitable, de la planification. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de la rĂ©quisition des logements vides et de la mixitĂ© sociale. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre des mĂ©tiers, de l’apprentissage rĂ©el, des arts et des artistes. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de la sĂ©curitĂ© sociale et de la santĂ© pour tous. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre du sport, avec et sans mĂ©daille, coupe ou podium. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre chargĂ© d’inventer d’autres mondes possibles. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de la solidaritĂ© entre les peuples et de l’affranchissement au traitĂ© de Lisbonne. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre chargĂ© d’enrayer la justice Ă  deux vitesses. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre chargĂ© de veiller Ă  la libertĂ©, Ă  l’égalitĂ© et Ă  la fraternitĂ©. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de la laĂŻcitĂ©. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de l’humain d’abord », des vies qui valent plus que leurs profits » et de la sociĂ©tĂ© solidaire. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de la paix et du dĂ©sarmement. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre de la coopĂ©ration avec les pays en voie de dĂ©veloppement et de la rĂ©organisation des Ă©changes mondiaux. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre chargĂ© de faire la synthĂšse des cahiers de dolĂ©ances. – Moi, prĂ©sident de la RĂ©publique, il y aura un ministĂšre en charge de la mise en place d’une Constituante. Mon conseiller avait ajoutĂ© un MinistĂšre de la suppression des ministĂšres », mais j’ai prĂ©fĂ©rĂ© ne pas en parler. Trop de promesses tuent les promesses. Ma femme m’a secouĂ© l’épaule en me reprochant de dĂ©clamer dans mon sommeil en rĂ©pĂ©tant toujours la mĂȘme chose ». Il Ă©tait 2 heures du mat’. Un peu tĂŽt pour lui parler d’anaphore. Maxime Vivas. avec la complicitĂ© de François Hollande, d’Eric W. FaridĂšs, de la foudre, du pneu Ă©clatĂ©, de l’ƓdĂšme de Quincke et peut-ĂȘtre mĂȘme de Karl Marx. Dernier livre paru “Paris, terre d’asile” humour, juin 2012, Editions Le LĂ©opard DĂ©masquĂ©. La dĂ©faite du dormeur Max Obione Karim roule un brin d’herbe boisĂ© entre son pouce et son index. Il en mordille l’extrĂ©mitĂ©, un lĂ©ger goĂ»t sucrĂ© s’épanche. Il reconnaĂźt cette saveur ; quand leurs bouches se joignent, quand leurs langues s’épousent, les baisers d’Iola ont aussi ce goĂ»t de miel et d’eau fraĂźche. Quelques souffles de vent font frissonner la surface du lac. AllongĂ© sous leur saule, au dĂ©tour d’un bosquet qui les dissimule aux promeneurs, Karim attend Iola. Il a roulĂ© plusieurs fois sur lui-mĂȘme pour rabattre les herbes hautes afin d’accueillir le corps fragile, le corps si beau, si gracile, si Ă©lancĂ© de Iola. Tout Ă  l’heure, elle s’allongera sur ce tapis vĂ©gĂ©tal, fermera les yeux avant qu’il ose avancer la main vers son Ă©paule. Karim sentira son cƓur s’emballer dans sa poitrine, comme toutes les fois, son sexe se raidir. Enfin, sa main touchera l’épaule de Iola, avec douceur, pour Ă©prouver cette prĂ©sence prĂšs de lui. Puis, d’un imperceptible rampement Karim s’approchera Ă  la toucher, presque, son visage dominera le sien, elle ouvrira alors les yeux. Le soleil joue avec le saule, le feuillage agitĂ© inonde la cachette d’une grĂȘle de lumiĂšre. Elle est toujours venue, elle n’a jamais rompu une promesse. Depuis leur premier rendez-vous prĂšs de la station de bus, devant PĂŽle emploi, boulevard Gabriel PĂ©ri. Ce jour-lĂ , le prof de maths avait vomi en classe, la honte. Puis le prof est tombĂ© en syncope. Affolement, Samu, bordel et tremblements ! L’aprĂšs-midi libre ! A la sortie du lycĂ©e, les garçons et les filles de la Seconde F se dispersĂšrent, seuls ou en groupe. Un temps plus tard. Karim la vit arriver, air dĂ©tachĂ©, innocente. Ils montĂšrent dans le bus, comme deux Ă©trangers s’ignorant. RestĂ©s debout, leurs mains saisirent la barre centrale, leurs mains distantes Ă  deux doigts l’une de l’autre. Ils interdirent Ă  leurs mains de se rejoindre sous les yeux des passagers. IndiffĂ©rents aux regards de ces derniers, ils descendirent huit stations plus loin. Ils marchĂšrent le long des rues silencieuses de la ville, cĂŽte Ă  cĂŽte, mais corps sĂ©parĂ©s par une barriĂšre visible de plusieurs centimĂštres qui demeurera infranchissable durant des semaines. Tant la transgression de la premiĂšre fois les inhibait. Ils ne virent rien, ni les vitrines, ni le Mac Do. Ils longĂšrent une rue ombreuse sous les ramures de grands platanes. Ils s’arrĂȘtĂšrent devant la devanture d’un coiffeur, de vieilles rĂ©clames sur carton vantaient les produits pour cheveux qui n’existaient plus. La brillantine Roja enchante vos cheveux », Avec Pento, soyez dans le vent ». Ils rirent aux larmes en examinant la chevelure gominĂ©e des mannequins ayant posĂ© pour la photo, et, par inadvertance, leurs mains se touchĂšrent pour la premiĂšre fois, et ils devinrent sĂ©rieux instantanĂ©ment submergĂ©s par leur audacieuse maladresse. Trois rues plus loin, ils achetĂšrent deux canettes de Coca, les burent en continuant de marcher, puis ils chantĂšrent Ă  plein gosier un tube rap qu’ils dĂ©couvrirent aimer tous les deux, ils jetĂšrent les canettes vides dans une tranchĂ©e de chantier. Ils arrivĂšrent sur la place principale remplie de monde, mais ils ne virent personne, ils n’entendirent aucun bruit, aucune conversation, ils n’écoutĂšrent que leurs voix, que leurs petits cris d’insouciance joyeuse. Ils s’amusĂšrent avec un vrai plaisir d’enfance, pleine de rires, de fĂȘtes, d’insouciance et de concorde. Avant-hier, aucun nuage n’assombrissait la lumiĂšre de leurs yeux quand ils se sĂ©parĂšrent en promettant de se retrouver, une nouvelle fois, dans deux jours, interminables, aujourd’hui mĂȘme, sous leur saule, comme d’habitude. Certes une habitude qui comptait peu de fois. Ces Ă©changes de baisers et de serments, volĂ©s, enfreignant l’interdit, l’oppression de la citĂ©, le danger, ces mains courant Ă  la recherche de l’autre, ces yeux noyĂ©s dans le gouffre infini du regard de l’autre, ces peaux si peu dĂ©couvertes Ă©mues sous les caresses, cette pointe d’un sein menu entrevue dans l’échancrure de son sweat, cette bosse bosselant son jean, toute cette collection d’instants et d’images, de sensations et de bonheurs furtifs, Ă©tait leur richesse commune volĂ©e au temps, aux conventions, le fruit de leur libertĂ© et de leurs dĂ©sirs. Une seule fois aurait pu rĂ©sumer, Ă  elle seule, toutes les autres fois. Pour tromper son attente, il se remĂ©more le dernier poĂšme que Monsieur Misrahi, le prof de français, a demandĂ© d’apprendre par cƓur. Ainsi a-t-il dĂ©couvert François Villon, Victor Hugo, Charles Baudelaire, Verlaine et Rimbaud, Tristan CorbiĂšre, Apollinaire, Aragon, RenĂ©-Guy Cadou... Iola aime Ă©galement Monsieur Misrahi. Elle sait que la langue des poĂštes donne corps Ă  sa libertĂ© qu’on veut lui dĂ©nier. Les autres Ă©lĂšves se moquent du prof, un feuj, un bouffon Ă  leurs yeux d’incultes, tandis que Karim dĂ©couvre les mots pour dire combien il aime, combien il dĂ©sire, combien la poĂ©sie illumine ses nuits noires, et gomme toute cette merde ambiante faite de rejet, de misĂšre, de came et de baston. Il aligne les vers dans sa tĂȘte C’est un trou de verdure oĂč chante une riviĂšre, Accrochant follement aux herbes des haillons D’argent ; oĂč le soleil, de la montagne fiĂšre, Luit c’est un petit val qui mousse de rayons. Quelques nuages passent, l’air devient plus frais. Le temps s’écoule, Karim frissonne. Au loin sur le lac, un moniteur crie aprĂšs les apprentis navigateurs de la base nautique. Karim avale sa salive, le peu dont sa bouche assĂ©chĂ©e dispose. Pourquoi tarde-t-elle autant ? L’anxiĂ©tĂ© l’envahit, il se retient de se mettre debout pour scruter le sentier qui mĂšne Ă  vingt mĂštres de l’endroit oĂč il l’attend. De peur d’ĂȘtre dĂ©couvert, il demeure assis, emprisonnant ses genoux dans ses bras refermĂ©s, il imprime Ă  son buste un mouvement d’avant en arriĂšre. 
il est Ă©tendu dans l’herbe, sous la nue, PĂąle dans son lit vert oĂč la lumiĂšre pleut. Il prie maintenant. Il invoque la dĂ©esse Iola en murmurant son nom de façon rĂ©pĂ©titive et lancinante. Il souffre de son absence comme un camĂ© en manque. Est-il tombĂ© raide dingue de cette copine de classe ? Il n’a pas le temps d’approfondir ce mystĂšre que sa tempe explose sous un impact bousculant sa masse crĂąnienne. Il tombe sur le cĂŽtĂ©, le nez sur deux paires de Converse. La douleur le foudroie. Les trois frĂšres de Iola Moussa, Bakar et Djib, le tatanent furieusement. Ils hurlent qu’il y a offense, ils parlent d’honneur de Iola, ils injurient le voleur de sƓur, ils crient qu’ils vont le fumer, cette saloperie de reubeuh ! Karim protĂšge sa tĂȘte, se recroqueville sous les coups. Une lame pĂ©nĂštre son cĂŽtĂ©, un Ă©clat de douleur le transperce, une fulgurance, un mal absolu, il dĂ©faille, demande grĂące, prend le temps de crier son amour, cette fois-ci il est temps d’en ĂȘtre persuadĂ©, la pique rĂ©itĂšre sa dĂ©chirure dans son flanc. Encore un coup dans la tĂȘte et les trois agresseurs s’enfuient, Djib jette le poinçon dans le lac. Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine, Tranquille. Il a deux trous rouges au cĂŽtĂ© droit. Karim fut dĂ©couvert moins d’une heure plus tard par une mĂ©mĂšre Ă  chien. Son corniaud mordillait la basket du blessĂ© et n’en voulait point dĂ©mordre. Les secours emportĂšrent Karim Ă  Mondor. Les lĂ©sions au foie n’étaient pas irrĂ©mĂ©diables, son nez cassĂ© lui donnerait un air mĂ©chant. Et mĂ©chant, il voulait l’ĂȘtre dĂ©sormais ! Juin 2012 Derniers ouvrages parus L’ironie du short et Gun Krakoen No pasaran ! par Max Obione Les volets de la bicoque de Jesus-Maria sont fermĂ©s. Mais je sais qu’il est prĂ©sent. Je pousse la grille et gravis les marches du perron. J’attends dix secondes aprĂšs avoir frappĂ© quelques coups codĂ©s sur la vitre de la porte d’entrĂ©e. — Salut, el niño !... Entre ! Jesus-Maria, tout racorni par les ans, trottine jusqu’à la cuisine. El niño Azuro, ainsi m’appelle-t-il depuis mon enfance. Sur la table, les piĂšces d’un fusil d’assaut dĂ©montĂ© qu’il nettoie comme un orfĂšvre dĂ©crasse un bijou de grande valeur. Je ne cherche jamais Ă  savoir d’oĂč proviennent toutes ces armes et tous ces explosifs et Ă  quels rĂ©seaux ils sont destinĂ©s. Puis nous descendons Ă  la cave et, par un boyau Ă©troit tapissĂ© de caisses de munitions, nous dĂ©bouchons dans un rĂ©duit oĂč Jesus-Maria rĂšgle d’ordinaire ses affaires, tire des tracts et fabrique en outre des faux papiers, en tout genre, pour la cause. Sur les murs, des banderoles dĂ©fraĂźchies renvoient Ă  des slogans, des mots d’ordre, Ă  des luttes anciennes. Il y a trĂšs longtemps, je lui ai demandĂ© ce que voulait signifier Silencio verdugos de octubre » . Jesus-Maria lui avait alors relatĂ© la rĂ©pression de la rĂ©volte ouvriĂšre, du cĂŽtĂ© d’Oviedo, en octobre 1934, par les rĂ©giments marocains commandĂ©s par le gĂ©nĂ©ral Lopez Ochoa, et les Ă©lections victorieuses qui avaient suivi... — Tu es toujours sur la piste des vermines ? questionne-t-il dans son français rocailleux des Asturies. — Des fĂ©roces, tu peux me croire ! — T’as besoin de gros calibre alors ? Au fait Azuro, tu la connais toujours ? — Naturellement ! AussitĂŽt j’entonne Si la bala me da, si mi vida se va, bajadme, callados a la tierra. Jesus-Maria me regarde. Il doit se dire comme il a grandi le petit orphelin depuis l’époque oĂč sa tata le conduisait chez l’Espagnol afin qu’il lui parle de son pĂšre, et des batailles perdues, tandis que mon oncle bougon, incorrigible rĂ©actionnaire, attendait dehors, dans la 203 Peugeot ! Je pointe de l’index un clichĂ© jauni punaisĂ© au mur — Tu as toujours la photo ? Cette photo lĂ©gendĂ©e Terrain de Larmonaca prĂšs d’Alicante, pilotes britanniques instruisant les recrues des FARE » m’avait emballĂ© quand je la vis la premiĂšre fois. Elle reprĂ©sente quelques Polikarpov alignĂ©s derriĂšre un groupe d’homme en tenues disparates. Avec sa silhouette courtaude, avec sa gueule ronde de bouledogue, massif et puissant, avec ses gouvernes de profondeur en forme de nageoires caudales de grand cĂ©tacĂ©, ce zinc de chasse soviĂ©tique dĂ©gage une impression de force compacte. Un gros moteur avec des ailes autour ! » Jesus-Maria lui avait relatĂ©, souvent, les exploits des pilotes Trevor Spano ou Frank Degling. Jesus Maria soutenait que c’était mon pĂšre qui avait pris cette photo. Mon pĂšre enrĂŽlĂ© dans les brigades internationales durant la guerre d’Espagne, affectĂ© dans une escuadrilla de moscas. Et il me plait toujours de le croire. Le vieux lutteur, toujours fidĂšle aux combats de sa jeunesse, reprend son antienne, persuadĂ© qu’il faut dĂ©zinguer les fachos avant que ceux-ci ne vous plombent. — Sois sans pitiĂ©, petit frĂšre ! Ne recommence pas les erreurs de tes pĂšres. On ne discute pas avec les rats, on ne raisonne pas les rats, on dĂ©ratise sans sommation, c’est tout ! Mon vieil espingo a la recommandation saignante, les circonstances s’y prĂȘtent ; progressivement, le pays touche le fond du trou qui marque le dĂ©but de l’irrĂ©parable. En toute lĂ©galitĂ© Ă©lectorale, la marĂ©e brune a submergĂ© les digues pour envahir le pays dans ses moindres recoins ; la peur hideuse, la peur de tout, des demain sans blĂ©, et Ă  propos de tout, surtout de l’autre, de l’inconnu, du diffĂ©rent, de l’étranger, avait fait son Ɠuvre de sape, aujourd’hui le fascisme ne rampe plus, il avance Ă  sale gueule dĂ©couverte, les fractions les plus fragiles du peuple ayant pactisĂ© avec la bĂȘte immonde, rejointes par les possĂ©dants gros et petits, Ă©garĂ©es qu’elles Ă©taient par les discours simplistes, racistes, effrayĂ©es par les ravages du capitalisme sauvage mondialisĂ©. Nombre de politicards les ont prĂ©cĂ©dĂ©s en plongeant leur cuillĂšre dans la gamelle brune. Il est vrai que le capitalisme nous refait sa Ă©niĂšme crise. Les pauvres en reprennent plein les dents comme toujours. Les affamĂ©s du sud montent Ă  l’assaut des frontiĂšres reconstituĂ©es. Le pays a retrouvĂ© son vieux Franc. On a mis des museliĂšres sur les grandes gueules de la presse. On a raffĂ»tĂ© le couperet de la guillotine. On a expurgĂ© les bibliothĂšques publiques de tous les auteurs dĂ©viants. Et crime impardonnable pour moi ils ont osĂ© virer des rayons toutes les Ɠuvres de Jules VallĂšs. Enfin, la machine Ă  bourrer les tĂȘtes, la tĂ©lĂ©, est aux mains du Parti unique. Mais, sous le calme apparent de l’ordre rĂ©gnant, chaque jour, des Ă©branleurs d’édifices, des fouteurs de zone se dĂ©mĂšnent clandestinement. De mon cĂŽtĂ©, je rĂ©siste dans la clandestinitĂ©, Ă  ma maniĂšre ; mon tempĂ©rament me porte Ă  m’activer dans les GAAF, groupes d’action antifascistes, je milite activement dans un groupuscule. Sans en rĂ©fĂ©rer Ă  quiconque, le GAAF Manouchian » rectifie les dĂ©loyaux, les abjects, les fumiers premier choix, les Ă©cumants de morgue, les enculĂ©s de premiĂšre classe, les Ă©goĂŻstes, les crevures magnifiques, les cons somptueux, les courtisans de tout poil, les illĂ©gitimes en tout genre, les crapules officielles, les mĂ©prisants, les impudents, les pourris jusqu’à plus profond que l’os, les violeurs de parole donnĂ©e, les fachos, les traĂźtres, les fĂ©lons. Mes amis appellent ça la rectification individuelle », leur cĂŽtĂ© bande Ă  Bonnot en quelque sorte, en rĂ©fĂ©rence Ă  une vieille engeance d’anars braqueurs du dĂ©but du siĂšcle prĂ©cĂ©dent. Je demande un nouveau flingue Ă  Jesus-Maria, avec son silencieux pour remplacer celui que j’ai refilĂ© Ă  ma copine Monette Duchemin du groupe Rosa Luxembourg » d’Aubervilliers. J’explique ensuite qu’on monte un nouveau service action. Jesus-Maria roule des yeux ronds paraissant manifester de l’admiration teintĂ©e d’un chouĂŻa d’incrĂ©dulitĂ©. Il tire un tiroir et en sort un superbe 9mm et me le tend. J’arme le Taurus, la culasse Ă©met un son rassurant. Je vise pour du beurre une cible imaginaire. — Voici ton nouveau joujou ! s’écrie Jesus-Maria en hochant la tĂȘte. N’oublie pas la boite de cartouches. Je te mets deux chargeurs en plus. — Cette fois-ci, on est fin prĂȘt pour engager le combat. Un combat sans merci ! Je ne reconnais pas ma voix, elle est sombre soudain, comme pĂ©nĂ©trĂ©e par l’importance dramatique des heures Ă  venir. — Bravo el niño ! J’explique combien nous sommes pressĂ©s d’en dĂ©coudre, qu’il ne faut pas que notre colĂšre retombe. Jesus-Maria est abasourdi par ma dĂ©termination et apprĂ©cie visiblement le grain de folie que nous mettons dans notre Ɠuvre de salubritĂ© publique. Je termine — Merci ! Et puis, donne-moi quelques paquets de tracts ! Les poches de ma parka pĂšsent une tonne dĂ©sormais. Sur le perron, je serre Jesus-Maria dans mes bras. — Adios ! Je dĂ©marre Ă  fond de train dans un boucan du diable. Il faut que je pense Ă  changer le pot d’échappement de mon scoot. Ce serait bĂȘte de se faire gauler pour une connerie pareille. » * Il relut Ă  l’écran le texte qu’il venait d’écrire. Ce scĂ©nario est-il plausible ? se demanda-t-il. EffrayĂ© de sa rĂ©ponse, il surligna le tout et appuya sur la touche Suppr. Juin 2012 Texte largement inspirĂ© de Calmar au sang, polar du mĂȘme auteur publiĂ© aux Ă©ditions Krakoen Derniers ouvrages parus L’ironie du short et Gun Krakoen Les chiens aboient Thierry DaubrĂšge – Ici, on sera bien. Dans une Ă©pingle Ă  cheveux Ă  couper le souffle, Ă  un endroit trop Ă©troit pour un camping-car, il reste une belle place. Ils pourront suivre les cyclistes au ralenti le long de la courbe, voir la caravane, pique-niquer en Ă©coutant la radio, parfait. Immobile sur son fauteuil de camping, un vieux posĂ© lĂ  attend les coureurs du Tour Ă  l’ombre d’un parasol attachĂ© Ă  son dossier par un sandow. Sur son T-shirt 100 ans, mĂȘme pas peur ! » La Casse DĂ©serte menant au col de l’Izoard tremble sous un soleil de plomb. On se sent petit dans ce paysage lunaire. AprĂšs eux, jusqu’au sommet, plus une place alors qu’il n’est que neuf heures, le passage du peloton est prĂ©vu pour quinze. On a eu raison de se lever tĂŽt. Bernard essaie de sourire, Carole essaie d’y croire. Il n’a pas la force. Il sent qu’il n’a plus la force de rien, qu’il se laisse aller. – Laisse le boulot, pense Ă  autre chose, profite de la journĂ©e
 Cet attachement idiot Ă  sa boĂźte, l’idĂ©e qu’en tant que dĂ©lĂ©guĂ© syndical, il aurait dĂ» faire partie de la charrette, vivre le drame avec les copains
 Carole n’est pas de son avis. Elle l’a fĂ©licitĂ© de s’en ĂȘtre tirĂ©, d’avoir gagnĂ© au moins deux ans, la maison Ă  payer, les gosses... Pour lui, c’est une trahison. En premiĂšre ligne, on aurait dĂ» le virer d’abord. Des amateurs grimpent le col en ahanant, les applaudissements leur donnent des ailes. A vĂ©lo, on obtient de droit une place au sommet, tout prĂšs des dieux de la petite reine. Il avait voulu savoir. Pourquoi pas lui, le meneur ? Pourquoi les autres et pas lui ? – Ah mais ! Avec qui nĂ©gocierait-on alors ? Ils vous Ă©coutent, ils ont confiance en vous. Ceci dit, n’imaginez pas que vous ĂȘtes fonctionnaire, hein, aujourd’hui, on vous garde mais demain
 Le DRH lui avait tapĂ© sur l’épaule. Si vous n’étiez pas lĂ , ce serait pire. Il savait de quoi il parlait, le DRH. Lors de la sĂ©questration, quand un copain de l’atelier s’était ruĂ© sur lui en gueulant Foutez-le par la fenĂȘtre, crevez ce salaud ! », il avait pĂąli. A plusieurs, ils avaient calmĂ© le gars. Sa lettre de licenciement en poche, il avait remerciĂ© Bernard. Sans toi, je serais en taule, ce serait pire. » Mais n’éviter que le pire Ă  tout le monde, ce n’est pas le syndicalisme dont rĂȘve un militant. Une clameur le ramĂšne Ă  la rĂ©alitĂ©. En danseuse, un unijambiste avale la montagne. Tout le monde se lĂšve, sifflets, bravos, hourras
 L’espace d’une cĂŽte, c’est un hĂ©ros. Bernard distingue la souffrance et la folie sur son visage, de son fauteuil pliant l’ancĂȘtre l’encourage le poing levĂ©. La moitiĂ© des copains partie, la boĂźte parut vide. Un week-end, les machines dĂ©laissĂ©es disparurent, les rescapĂ©s vivaient en sursis. Le changement ? Le progrĂšs ? Tu parles ! Qu’est-ce que ça lui faisait qu’on marie les homos et les curĂ©s, qu’on puisse se faire insĂ©miner sur catalogue, qu’on rĂ©crive le passĂ© Ă  coup de lois mĂ©morielles, qu’on institue des quotas de noirs, de beurs, de femmes, qu’on fasse voter les Ă©trangers, qu’on protĂšge des animaux mieux que les hommes, qu’on sacralise les diffĂ©rences, qu’on prĂ©fĂšre Bruxelles Ă  Paris
 Tout ce qu’il voulait, lui, c’est bosser, vivre tranquille, normalement. Autour d’une voiture publicitaire, les bras s’agitent, les voix enflent, un groupe discute avec le chauffeur. Le temps qu’il s’approche, elle redĂ©marre et s’arrĂȘte un peu plus loin. Un spectateur Ă©cƓurĂ© – J’y crois pas ! – Qu’est-ce qu’il y a ? – Natura 2000 » ! La caravane a interdiction de distribuer sa pub, pas de papiers, rien sur la chaussĂ©e, aucune trace, la survie de la planĂšte ! N’importe quoi ! Y’a que les Ă©colos pour inventer des trucs pareils. Pour un peu, je me barrerais. Supprimer la pub, Ă  priori, Bernard aurait Ă©tĂ© pour, mais pas aujourd’hui, pas un jour de fĂȘte. – On n’est pas obligĂ© d’accepter. – Ah oui ? Tu veux qu’on fasse quoi ? – On barre la route. On empĂȘche le passage du tour. En cinq minutes ils cannent. Les deux hommes se toisent, le groupe attend. Sourires. Chiche ! Par magie, une dizaine de voitures entravent la chaussĂ©e, Bernard dirige la manƓuvre, sur l’envers d’une banderole destinĂ©e Ă  un champion, on Ă©crit au marqueur Touche pas Ă  mon Tour ». On coupe les moteurs, on tape dans le dos de Bernard, on rigole, tout fier de la bonne blague. De son fauteuil, le centenaire vocifĂšre – Allez-y les gars, comme en 36 ! LĂąchez rien ! C’est l’instant de grĂące, de fraternitĂ©, le bonheur de dĂ©sobĂ©ir. Plusieurs vĂ©hicules publicitaires sont immobilisĂ©s, un hĂ©licoptĂšre bleu hache le ciel, trois motards remontent les lacets. – Circulez ! DĂ©gagez la route ! Quolibets, jets de pierres, bras d’honneurs, les policiers battent en retraite et rapportent Ă  la hiĂ©rarchie. Les camĂ©ras de tĂ©lĂ© flairent l’audimat, encerclent Bernard. Pas de pub, pas de Tour ! ». Un reporter avide de scoop tente une interview mais il les connaĂźt trop, pas question de pĂ©rorer. D’une voiture banalisĂ©e, un flic en civil facilement identifiable s’approche et serre des mains, des dents plein son sourire. – GĂąchez pas la fĂȘte les gars, le peloton est Ă  moins de trente minutes, soyez raisonnables, vous prenez les spectateurs en otage. – C’est vous qui gĂąchez la fĂȘte, Natura 2000, on s’en fout, c’est pour les bobos qui ne font du vĂ©lo qu’en ville. – Ouais, nous, c’est pas la vĂ©lorution qu’on veut. – On va rĂ©flĂ©chir, revenez dans une heure ! – Oui au retour du tour ! Bernard parlemente. Contre un engagement sur l’honneur, il accepte de lever le barrage. Morose, déçu, on range les voitures. Un rebelle regrette – On aurait dĂ» aller jusqu’au bout histoire de vivre quelque chose. – Vaut mieux une petite victoire qu’un Ă©chec. La caravane ne lĂąche des tonnes de bonbons, Ă©chantillons, rafraĂźchissements qu’à l’endroit de la rĂ©volte. Personne n’est dupe. Ailleurs, Natura 2000 les nargue. En un clin d’Ɠil, le peloton passe, on remballe. Le vieux tape sur l’épaule de Bernard, le fixe de son regard clair et lui dit, bien en face – Collabo. L’évidence lui brise les reins. Il aurait dĂ» lyncher le DRH. Dernier ouvrage paru OcĂ©ano Police, Coop Breizh Ça va ! Antoine Blocier J’ai eu chaud. L’annĂ©e derniĂšre a Ă©tĂ© l’une des plus troubles de toute mon existence, pourtant dĂ©jĂ  riche en coups tordus et autres organisations sociĂ©tales dont j’ai le secret. Je ne sais pas ce qui m’a pris de jouer l’empathie. Un vrai rĂŽle de composition. M’apitoyer sur les faibles, esquisser un semblant de dĂ©but d’hypothĂšse de justice et autres fariboles sociales, ce n’est dĂ©cidĂ©ment pas mon truc. En 2012 pourtant j’ai essayĂ© cette stratĂ©gie en France. Mais bon, le pacificateur n’est pas crĂ©dible lorsque c’est lui qui a créé le dĂ©sordre
 Le dĂ©sordre
 Tout compte fait, rien de tel pour que tout reste dans l’ordre. J’ai eu chaud, mais fausse alerte il n’y avait pas de quoi. Alors 2013
 Quel panard ! Depuis le temps que les petits frenchies me les brisaient menu, avec leurs Ă©tats d’ñme de pacotille – un jour libĂ©raux, le lendemain rĂ©voltĂ©s, mais toujours Ă  la ramener avec leur particularisme hexagonal » - j’avais dĂ©cidĂ© de frapper un grand coup. Quand ils l’ont reçue en pleine poire, ma main invisible, ça leur a fait tout drĂŽle. Ils ont Ă©tĂ© sonnĂ©s quelques jours puis ils se sont gentiment et rapidement remis au boulot, un mouchoir sur leurs vellĂ©itĂ©s humanistes. Il ne faut jamais dĂ©sespĂ©rer des peuples Ă  la dĂ©rive, tĂŽt ou tard ils rentrent dans le rang. Alors, ça va. Je n’ai jamais vraiment eu besoin de m’impliquer en direct sur le mouvement de monde, il y a toujours des types qui croient suffisamment en moi pour lĂ©gifĂ©rer, dĂ©rĂšglementer, imposer, manipuler, trahir et encaisser. De ce cĂŽtĂ©-lĂ  aussi, ça va. Tant qu’elle gesticulait, la France ne parvenait qu’à me soutirer un mince sourire. Je ne suis pas chatouilleux. Le seul truc drĂŽle qu’elle a tentĂ©, c’est toutes les fois oĂč elle s’était dotĂ©e de gouvernements dits de changement ». Ce que j’ai pu me marrer de voir tous ces Ă©lecteurs/consommateurs gober, comme un seul homme, les bobards des candidats putatifs aux rĂȘnes du pouvoir. Aucun n’osait me remettre en cause car je suis tout simplement IN-CON-TOUR-NABLE. C’est la force des religions puissantes. Ça va
 Ça va. En 2012, pour pimenter leur rata Ă©lectoral, je l’avais saupoudrĂ© d’une sacrĂ©e dose de Brun. Pas du Brun brutal qui arrache la gueule, mais du Brun plus soft Ă  avaler. Soit, il est toujours aussi indigeste avec les mĂȘmes effets cĂŽtĂ© hĂ©morroĂŻdes, mais tellement plus racoleur. Plus vendeur. Dans la grande lessiveuse des idĂ©es, j’ai savamment oubliĂ© de trier les couleurs. RĂ©sultat le Brun a dĂ©teint sur le Bleu, dĂ©jĂ  un peu passĂ© je le reconnais bien volontiers. Le Bleu a bavĂ©, dĂ©goulinĂ© et a fini par se fondre dans une espĂšce de marronnasse informe. A tel point que le Rose a profitĂ© de la vague et s’est mis, lui aussi, Ă  ripoliner quelques mesurettes de cette chatoyante teinte virant Ă  l’ocre, premier stade de la Brunisation qui va me permettre de couler mes vieux jours en toute sĂ©rĂ©nitĂ©. Ça a marchĂ© au-delĂ  de mes espĂ©rances. Vraiment, ça va. Il m’arrive encore de me surprendre, c’est dingue ! Je ne connais rien de plus reposant qu’une sieste Ă  l’ombre brune d’un continent dont les soubresauts sont de lĂ©gers frĂ©missements, un vent apaisĂ© sur mon visage serein. SĂ©rieux, ça va. Ça va bien. Pour m’ĂȘtre agrĂ©able, mon nouveau porte-parole a dĂ©jĂ  reniĂ© quelques-unes de ses promesses. Les smicards avaient espĂ©ré  Tant pis pour eux ! Plus les salaires sont bas et l’emploi prĂ©caire, et mieux je contiens les grĂšves et les mouvements sociaux. Les syndicats comptent pour peanuts, quand on se bat d’abord pour sa pomme. Ça va. Mieux les plans de licenciements massifs font grimper les cours Ă  la Bourse et les actionnaires aux rideaux. Dans mon univers, une mauvaise action Ă©conomique est toujours rĂ©compensĂ©e par une action – de grĂące ? – en hausse. Ça donne du tonus aux bonus. Alors oui, ça va. Les eurocritiques en sont pour ravaler leurs larmes. Les coups de menton volontaires et le verbe haut, c’était pour impressionner les Ă©lecteurs, pas Londres, pas Berlin et encore moins la Commission europĂ©enne, les plus prosĂ©lytes de mes fidĂšles. Alors, bien sĂ»r, ça va. Rien ne se vend plus, mais tout s’achĂšte quand mĂȘme. Surtout l’honneur et les convictions les plus trempĂ©es. La corruption bat son plein. Nom de Moi, ça va. La dissuasion nuclĂ©aire va continuer Ă  prospĂ©rer. Des tensions dans le monde et du pognon Ă  ramasser Ă  la pelle
 Partout la guerre des armes Ă  inventer, Ă  produire, Ă  vendre et Ă  utiliser
 pour inciter Ă  inventer de nouvelles armes, plus performantes, plus sĂ©lectives. Pour les produire, les vendre et les utiliser. Je me souviens quand j’avais dĂ©veloppĂ© le concept de guerre propre », des bombes intelligentes qui ne touchaient que les infrastructures. Quelle poilade ! Franchement, ça va. La population est sur le qui-vive. Les Français regardent de travers les Roumains, qui espionnent les Portugais, qui craignent les Asiatiques, qui Ă©pient les MaghrĂ©bins, qui se mĂ©fient des Africains. Et dans les sous-groupes, les chĂŽmeurs jalousent les manƓuvres, qui lorgnent sur les cadres, qui bichent sur la Direction, qui craint les patrons. Puis ceux qui triment sur les chantiers contre ceux des champs et les deux contre ceux des bureaux
 Alors que tous, sans exception, n’ont qu’un seul et unique MaĂźtre moi
 une seule et unique religion tirer son Ă©pingle du jeu
 Or c’est moi – enfin, ma main invisible – qui fixe les rĂšgles sans les fixer, qui organise sans organiser. L’apparence de la spontanĂ©itĂ© comme paravent d’une religion trĂšs cadrĂ©e. SincĂšrement, ça va. Les Droits-de-l’hommistes rĂ©clament un meilleurs partage du gĂąteau. Qu’ils arrĂȘtent avec ça, il y en a pour tous. Pour ceux qui cuisinent le gĂąteau et pour ceux qui le mangent. A chacun selon ses capacitĂ©s et Ă  chacun selon ses besoins. Pas ma faute si les riches ont meilleur appĂ©tit. Les pauvres n’ont droit qu’aux miettes ? La belle affaire. Pour qu’ils les aient, ces miettes, il faut bien qu’il y ait dĂ©jĂ  un gĂąteau. Je compte bien sur l’équipe du Nouveau pour faire avaler cette pilule-lĂ  Ă  ses aficionados. Pas de soucis, je l’ai formatĂ©e pour. Ça va. Les sans-abri sont expulsĂ©s des ponts et des bouches du mĂ©tro oĂč ils s’entassent avec femmes et enfants. LĂ , je tique. C’est une erreur, va falloir que je rappelle Ă  l’ordre. C’est justement de voir ces familles Ă  la rue qui autorise le dĂ©lire sur les prix de l’immobilier. Si leur misĂšre se cache, plus personne n’aura peur de leur ressembler un jour. Et je fais comment, moi, pour lĂ©gitimer la spĂ©culation dans la pierre et soutirer les subventions aux Ă©tats ? Globalement, cĂŽtĂ© immobilier, pour l’instant ça va. On transforme les braves en extrĂ©mistes et les idĂ©alistes en irresponsables. Les salauds sont Ă  la une des journaux, on magnifie leur sens des affaires et leur fermetĂ©. Les mĂ©dia s’inspirent encore et toujours de ma Bible. Leur catĂ©chisme cathodique est tout Ă  ma gloire. Ça va. En ce mois de mai 2013, je me penche sur mes ouailles. Bien obligĂ©. Je sens bien qu’un courant de mĂ©crĂ©ance tente de s’organiser, incitant les fidĂšles Ă  se dĂ©tacher de moi. Voire Ă  crĂ©er un autre modĂšle de rĂ©fĂ©rence. C’est une spĂ©cialitĂ© dans ce pays en mai, on s’excite, on se fait peur, on gesticule pour, en bout de course, fermer sa bouche. Ce qui change cette annĂ©e, c’est que les gens commencent Ă  comprendre que je pourrais ĂȘtre mortel, moi aussi. Normal, ils sont déçus. AprĂšs avoir mis tous les pouvoirs dans les mains du Nouveau, ils constatent que rien ne change, qu’ils ont avalĂ© quantitĂ© de couleuvres, comme autant de belles paroles. Alors, je la joue modeste. Profil bas pour mieux gagner, pour gagner plus. C’est de la spiritual strategy. D’accord, d’accord, je ne suis pas toujours au top, il y a bien ça et lĂ  des dysfonctionnements
 Je suis un systĂšme imparfait, soit, mais y en a-t-il un autre crĂ©dible ? Jusqu’à prĂ©sent, j’avais suffisamment de relais efficaces pour ne pas avoir Ă  me mouiller directement. Mais lĂ , les Frenchies commencent Ă  me courir. Ils ne vont pas encore changer. Manquerait plus qu’ils me renient, dĂ©truisent les Ă©difices oĂč s’organisent la dĂ©votion de mes valeurs, brĂ»lent les missels du dogme et pendent haut et court mes missionnaires. Ces hĂ©rĂ©tiques sont capables de pondre des lois rĂ©publicaines pour contrer la loi divine. OĂč irait la foi, avec des apostats au pouvoir ? Y’a des coups de pied au culte qui se perdent. J’en ai marre et je voudrais bien me reposer en paix. Alors je vais ressortir le coup des Croisades contre les infidĂšles, les adeptes de la dĂ©croissance, du partage... Pourquoi pas le communisme, tant qu’on y est ? Y’aura des dĂ©gĂąts, on les tuera tous et je reconnaitrai les miens. Il faut faire des exemples, pour que les autres se souviennent durablement qui est le Patron. Le pognon, le fric, le flouze, le grisbi, l’oseille
 quel que soit le nom que l’on donne Ă  mon catĂ©chisme, le seul monothĂ©isme transcontinental qui transcende toutes les autres religions, c’est MOI ! On m’appelle le MarchĂ©, l’Argent, les Avoirs, la Fortune, la Richesse, la Bourse
 bref, le Capital. Et l’on ne s’attaque pas au Capital, comme ça, sans biscuits idĂ©ologiques forts. Le Nouveau et sa clique ne suffisent plus ? M’en vais leur balancer une petite rĂ©cession. Leur rigueur » fera pĂąle figure, c’est le tissu industriel qui va morfler. Et l’agriculture. Et le tourisme. Je vais le zigouiller cet incontrĂŽlable pays. Je vais peut-ĂȘtre leur laisser la culture. Bien utilisĂ©e, elle fera passer le reste en douceur. Mais, pour l’instant, ça va ! DerniĂšres parutions Camping Sauvage et DĂ©sordre du Temple A paraĂźtre septembre 2012 MaĂ«lys et ceux des caravanes et Ligne 13 Le tout aux Ă©ditions Krakoen. L’AFFAIRE DE 2013 Francis Mizio L’affaire a Ă©clatĂ© tout dĂ©but 2013, Ă©clipsant celle qui s’était Ă©talĂ©e depuis fin 2012, Ă©cƓurant tĂŽt ceux qui avaient placĂ© tous leurs espoirs dans le gouvernement. Le tĂ©moignage de celui qui avait eu vent de l’affaire fit une trainĂ©e de poudre. Il rendit les gens cois et les gazettes surchauffĂ©es. Les premiĂšres rĂ©actions sur ces rĂ©vĂ©lations, quoique jugĂ©es incomplĂštes ou fantaisistes, furent littĂ©ralement outrĂ©es. On ressuscita des mots abracadabrantesque », menteries »  ; on fit dans le mĂ©dical mĂ©langeant des notions Ă  un point cacophrĂšne et schyzophonique. L’affaire Ă©tait –franchement- invraisemblable. Enorme » estimaient certains. De fait, elle tombait mal. Beaucoup avait Ă  y perdre, mais beaucoup Ă  y gagner. Tout l’échiquier risquait d’ĂȘtre Ă  revoir. Il y avait de la tectonique politique dans l’air. Mais quoiqu’il en fut, l’affaire ne put laisser indiffĂ©rent dĂšs lors qu’apparurent les tĂ©moignages contradictoires, prouvant Ă  ce stade que l’affaire Ă©tait soit nulle et non avenue, soit inexistante. On s’interrogea, mais faute de rĂ©ponse trouvĂ©e en soi, on interrogea l’autre. Des micro-trottoirs furent dans l’urgence diffusĂ©s par les tĂ©lĂ©s et radios les gens qualifiĂ©s de vrais » devaient bien avoir un avis sur l’affaire ? Toutefois, les rĂ©sultats retracĂšrent simplement la gĂ©ographie des camps qui se mettaient en place. Certains, Ă  vue de ces Ă©missions dĂ©sinvoltes dans le traitement, sinon cyniques, juchĂ©s sur des tribunes de bois comme de papier, dĂ©noncĂšrent un goĂ»t du scandale, une idĂ©ologie de cafĂ© de commerce, une fascination pour le mortifĂšre de l’époque. L’affaire Ă  peine rĂ©vĂ©lĂ©e, battait dĂ©jĂ  son plein. Un journaliste confia Ă  un site web de critique des mĂ©dias comment s’était dĂ©roulĂ©e une rĂ©cente confĂ©rence de rĂ©daction, lĂ  oĂč il travaillait. En substance il avait Ă©tĂ© dit Emparons-nous de cette affaire ; elle ne doit pas profiter aux concurrents. Trouvons un angle intĂ©ressant pour notre journal sur l’affaire, afin d’ĂȘtre pilote sur ce coup ». Evidemment, avec de telles pratiques en escalade symĂ©trique, l’affaire prit de l’ampleur au point que mĂȘme les acteurs de l’affaire s’interrogĂšrent, dans les colonnes et sur les Ă©crans, de l’écho dĂ©mesurĂ© qu’elle se trouvait dĂ©sormais avoir dans les mĂ©dias. Cela les dĂ©passait. Eux-mĂȘmes se demandaient si l’affaire nĂ©tait pas encore plus importante qu’ils ne l’avaient a priori soupçonnĂ©. Il fut tĂŽt dit que l’affaire aurait embarrassĂ© le gouvernement, bien silencieux. On imagina des barbouzes et des intrigues florentines. Pourquoi, aprĂšs avoir parlĂ©, le tĂ©moin clĂ© de l’affaire gardait-il le silence ? Cela ne signifiait-il pas que l’affaire cachait quelque chose
 de pire ? Une autre affaire, Ă©videmment ? On continua de s’enflammer. Cela prenait une tournure toujours plus complexe. Trop, sans doute
 et l’on commença lĂ©gitimement Ă  chercher Ă  qui l’affaire pouvait bien profiter. Vint le moment oĂč la France fut divisĂ©e en deux par l’affaire. On titra sur ce point, accentuant malgrĂ© soi la division. Dans les cours de rĂ©crĂ©ation il y eut jusqu’aux enfants Ă  se disputer, dĂ©fendant sans le comprendre l’avis de leurs parents. DĂšs lors que les paroles devinrent trop abondantes, on s’en remit, de façon rationnelle, Ă  des mĂ©thodes d’analyse scientifique. Il fallait faire le point. On le fit avec rigueur, publiant des sondages. Les graphiques divers et variĂ©s, coloriĂ©s et abscons, parfois interactifs et sonorisĂ©s avec des points Ă  cliquer renseignĂšrent, mais n’éclairĂšrent pas. On venait de passer Ă  autre chose on parlait de l’affaire comme un objet curieux, tel un Ă©tron posĂ© au centre de la maison, sans plus se prĂ©occuper de qui l’avait commis mais de l’odeur qu’il dĂ©gageait. Ce discours sur le discours -car la chose s’emballait toujours plus- occupa les pages de tribune, les Rebonds », les Horizons », les commentaires haineux et caricaturaux bourrĂ©s de fautes et de bĂȘtises sur le web, les messages de 140 signes sur une messagerie vaine, et les statuts sur un rĂ©seau fourbe. Tout le monde s’étant exprimĂ©, on interrogea sur le sujet de l’affaire des sportifs, des chanteurs, des personnalitĂ©s qui n’avaient rien Ă  voir avec l’affaire, mais, Ă©tant Ă©coutĂ©s et admirĂ©s, pouvaient guider le public dans sa quĂȘte stupĂ©faite d’opinion tranchĂ©e. On alla jusqu’à convoquer un psy et un sociologue. Ils devisĂšrent, s’entre-complimentant sur leurs derniers ouvrages opportunĂ©ment parus. Ils levĂšrent des points intĂ©ressants. A savoir que l’affaire avait un rĂŽle et un sens. Il y avait ce qu’elle rĂ©vĂ©lait de nous, de notre sociĂ©tĂ©, de nos choses enfouies depuis la grotte et la famille de province. L’affaire voulait nous dire quelque chose. HĂ©las sur ce qu’elle voulait nous dire, ils ne parvinrent Ă  s’entendre. On discuta par la suite beaucoup des noms d’oiseaux qu’ils s’envoyĂšrent, perdant toute civilitĂ© avant la publicitĂ©. De l’affaire expliquĂ©e, on ne parla point, mais cela fut dĂ©plorĂ© comme un simple dommage collatĂ©ral. L’affaire devint un bruit de fond, une radio qui filait dĂ©rĂ©glĂ©e entre des dizaines de frĂ©quences. Il est temps de poser les Ă©lĂ©ments clairement, car le public Ă  besoin, sinon le droit de savoir, d’y comprendre quelque chose » tels furent les propos de l’auteur du livre sur l’affaire qu’on invita dans des pages et sur des plateaux, devant des micros et un public sage qui applaudissait. On parla, faute d’évoquer le contenu du livre, de comment il avait techniquement Ă©tĂ© Ă©ditĂ© si vite. Une prouesse. L’imprimeur lui-mĂȘme s’était personnellement impliquĂ©. La veille encore, la couverture n’avait pas Ă©tĂ© choisie et cela avait Ă©tĂ© la fille de l’auteur, 7 ans, qui avait tranchĂ© ! Mais ce n’était qu’anecdote car le livre, lui, faisait enfin le point. Il convenait de l’acheter. Etendue depuis plusieurs mois, l’affaire faisait dĂ©sormais partie du dĂ©cor de 2013. On apprit en juin que des Ă©tudiants en psy et socio s’étaient mis en tĂȘte d’écrire des mĂ©moires, de dĂ©fendre des maĂźtrises ou des thĂšses sur son sujet. Car tout de mĂȘme, cette affaire Ă©tait un cas d’école. MalgrĂ© tout le public se lassa. Les beaux jours Ă©taient installĂ©s. On songeait aux vacances. C’est alors qu’une certaine presse dĂ©nonça, de façon assez virulente sinon convaincante, dans un numĂ©ro double pour la plage, le discours des concurrents sur l’affaire. On tomba des nues. Avions-nous Ă©tĂ© manipulĂ©s ? Le doute s’immisça et c’est Ă  ce moment, qu’ayant jusqu’alors gardĂ© une rĂ©serve prudente nĂ©cessaire Ă  toute distance analytique, le gouvernement dĂ©clara lors d’une confĂ©rence de presse largement relayĂ©e malgrĂ© la canicule et le monoĂŻ arrivants que la vĂ©ritable affaire, c’est qu’il n’y avait pas d’affaire. » Cette tentative d’extinction des feux fut mal perçue. Elle raviva des thĂ©ories, des idĂ©es de complots. Un dessinateur dans un hebdo, expert du mal de dos des cadres francs maçons et du prix de l’immobilier dans les nuits chaudes, publia un dessin de presse inspirĂ© de celui fameux de Caran d’Ache sur l’affaire Dreyfus. Sur cette nouvelle version on vit des protagonistes identifiables s’écharper autour d’un gĂąteau mal partagĂ©, vite saccagĂ© Ils en parlent » disait la lĂ©gende. On trouva cela d’un goĂ»t douteux. On ricana sur le procĂ©dĂ© racoleur permettant de vendre du papier. La certaine presse revint alors Ă  des considĂ©ration moins corporatistes, du fait de la rĂ©action du gouvernement en fait, se demanda-t-elle fort pertinemment, Ă  ce stade de confusion, ne voudrait-on pas Ă©touffer l’affaire ? C’était bien possible il y avait des exemples de n’importe quoi. Un type connu des services de police, sinon de psychiatrie, et dont il fut Ă©tabli par la suite qu’il avait abandonnĂ© ses enfants et fraudĂ© le fisc, menaça de balancer des rĂ©vĂ©lations supplĂ©mentaires liĂ©es Ă  l’affaire sur Internet ; rĂ©seau dont on rappela Ă  cette occasion les mĂ©faits... Tout Ă©tait passĂ© en roue libre. C’était le chaos. Soucieux de calmer le jeu, un historien fit appel au devoir de mĂ©moire. Il expliqua que ce n’était pas la premiĂšre fois qu’on se retrouvait devant une telle affaire, tant dans son fond que dans sa forme. Mais personne ne l’écouta. Cela aussi, conclut-il, Ă©tait dĂ©jĂ  arrivĂ©. L’étĂ© 2013 passa. Il y eut quelques augmentations des tarifs d’anciens services publics ; des lois cauteleuses votĂ©es dans l’indiffĂ©rence ensablĂ©e par la mĂ©tĂ©o des plages. La rentrĂ©e que l’on avait annoncĂ©e chaude et sociale fut occultĂ©e par de nouvelles rĂ©vĂ©lations sur laffaire. HĂ©las, tout devenait toujours plus incomprĂ©hensible, enchevĂȘtrĂ©. On avait oubliĂ© le dĂ©but, il manquait le milieu
 Quiconque y comprenait goutte, sauf certains journalistes obsessionnels Ă  en ĂȘtre louches, qui se tuĂšrent Ă  tout retracer le plus pĂ©dagogiquement possible en quelques milliers de mots Ă  peine. On ne lisait plus que les titres, au mieux les accroches et intertitres... Cela, il est vrai, semblait devenir vraiment tout et n’importe quoi. Un dingue, d’ailleurs, eut mĂȘme de l’audience en prĂ©tendant que l’affaire Ă©tait dirigĂ©e contre lui. Novembre advint. On acheta des chrysanthĂšmes. Curieusement, c’est la dĂ©couverte d’un commerce de tee-shirts, de mugs, de gadgets sur l’affaire proposĂ©s par correspondance pour NoĂ«l qui relança l’intĂ©rĂȘt on se souvint qu’il y avait bien toujours cette affaire, mais que cela s’était diluĂ©. La presse eut de conserve la mĂȘme idĂ©e en titrant Faut-il tout reprendre Ă  zĂ©ro ? » ou encore clama OĂč en est-on sur l’affaire ? ». Dans un intĂ©ressant dossier, un sociologue expliqua que si on se posait cette question, cĂ©tait parce que l’affaire avait Ă©tĂ© un non-Ă©vĂ©nement. Il fustigea sur de nombreux plateaux, et lors de confĂ©rences, le business fait autour de l’affaire. Il sortit un livre pour le dĂ©noncer plus fort encore, mais son succĂšs ne fut que d’estime. C’était dĂ©jĂ  la trĂȘve des confiseurs. Les gens Ă©taient las. Il y avait les cadeaux Ă  acheter avec un pouvoir d’achat en berne. Lorsque les tĂ©moins clĂ©s de l’affaire se rĂ©tractĂšrent fin dĂ©cembre, on ne fit pas grand cas de l’information. Constatant cette Ă©volution il y eut quelques derniĂšres salves mĂ©diatiques, rĂ©sonnant comme des chants de signes, sinon de cygnes. On posa cette ultime question, un peu dĂ©sespĂ©rĂ©e, un peu perplexe et s’il n’y avait jamais eu d’affaire ? ». On remettait en cause tout l’équilibre, et il sembla mĂȘme soudain que celui qui avait rĂ©vĂ©lĂ© l’affaire n’était pas si clair dans celle-ci. Des marionnettes tĂ©lĂ©visuelles que l’on tenait pour de fins esprits politiques rendirent leur verdict. Elles affirmĂšrent Ă  une heure de grande Ă©coute qu’on n’allait jamais savoir le fond de l’affaire. Comme toujours, prĂ©cisĂšrent-elles. D’ailleurs les journalistes ne s’étaient-ils pas mis Ă  se flageller de mea culpa lyriques et Ă©chevelĂ©s en comprenant que, depuis le dĂ©but, laffaire n’avait Ă©tĂ© qu’une affaire mĂ©diatique ? Se rengorgeant, un peu honteux mais s’habillant d’une dignitĂ© ravivĂ©e, ne pointaient-ils pas les dĂ©rapages chez leurs semblables comme chez eux-mĂȘmes par souci de rigueur et de dĂ©ontologie ? L’an nouveau grĂ©silla lĂ -dessus comme une bougie en fin de vie. Un mensuel de sciences humaines, faisant le bilan de 2013, revint sur l’affaire, traçant son historique, concluant que ces phĂ©nomĂšnes n’étaient pas nouveaux. Qu’en effet, ils devaient bien cacher quelque chose ; une faiblesse humaine celĂ©e en nous tous, sinon sans doute d’autres squelettes scandaleux dans des placards, malheureusement dissimulĂ©s par tout ce tapage qui fut, il fallait en convenir, bien navrant. On parla un peu de totems, de tabous. Il fut mĂȘme question de sexualitĂ© et d’inconscient qui curieusement n’avait pas Ă©tĂ© convoquĂ©s par les services de police aux dĂ©buts de l’affaire. En somme, on ne savait rien aprĂšs cette annĂ©e agitĂ©e, mais on avait tout de mĂȘme un peu apprit sur soi. C’était dĂ©jĂ  ça. Et puis, mi-janvier 2014, une nouvelle affaire ahurissante Ă©clata - et on ne parla plus que d’elle. Dernier ouvrage paru Alfonso Vermot y Carambar inventeur de la devinette », avec JB Pouy, JP Rocher Editions Effet rĂ©troactif. Francis Pornon Je sonnai sous la plaque indiquant Notaire ». Ouvrit une jolie brune, blouse dĂ©colletĂ©e, jupe serrĂ©e. Femme. Avec une jolie petite voix. Je tenais mon arme derriĂšre mon dos. Inutile d’insister, redit-elle, l’étude est fermĂ©e, c’est une rĂ©union de famille ! De sa jolie petite voix, avec le sourire et le reste ! J’en avais de la mollesse dans les jambes. Pas dans l’intervalle. Mais alors, pas du tout ! Il y avait si longtemps que cela ne m’était pas arrivĂ©. Je lui souris aussi pour souffler que
 j’allais recevoir un gros hĂ©ritage et que
 j’aimerais partir avec elle, trĂšs loin, oĂč elle voudrait. ― Mais ça va pas ! Qu’est-ce que vous croyez ? Fichez le camp d’ici ! fit-elle en tentant de refermer. Alors, rĂ©primant l’envie de pleurer, je ricanai. ― Dommage ! Un ratage de plus ! Le pied dans l’entrebĂąillement de la porte, je brandis le pistolet et repoussai le battant pour pĂ©nĂ©trer dans le vestibule. Au salon, je menaçai tout le monde en lançant de ne pas s’affoler, que tout se passerait bien, je voulais seulement livrer une information en Ă©change d’un service. Ils se figĂšrent dans un arrĂȘt sur image. VoilĂ  ! contai-je. Un ami m’avait parlĂ© d’une curieuse histoire dans la ville. Un notaire, en cheville avec un promoteur, avait achetĂ© du terrain agricole en viager Ă  un vieux paysan sans hĂ©ritier. Le terrain Ă©tait devenu libre et aussi constructible par enchantement, quelques mois aprĂšs, Ă  la mort du pauvre paysan. Le notaire Ă©tait un homme respectable et respectĂ©. Chaque semaine il rĂ©unissait dans son salon sa famille jusqu’aux cousins Ă©loignĂ©s. L’intĂ©ressĂ© pĂąlit. C’était Ă©videmment lui, le notaire en question. Ceux de sa famille lorgnaient avec Ă©tonnement ou mĂȘme mĂ©chamment. Deux ou trois femmes se mirent Ă  pleurnicher. Pas de souci, ajoutai-je, on pouvait s’arranger. Je ne ferais rien que corriger une injustice. L’arme toujours en main, je demandais seulement un petit travail au patron, ce ne serait pas long. Le gratte-papier bedonnant ne se fit pas prier. Il me prĂ©cĂ©da au bureau attenant Ă  son logement. C’était simple, en effet, de reprendre le modĂšle d’un testament authentique » dĂ©clarant que son auteur Ă©tait mon pĂšre. Avec une photocopie de signature dans les documents apportĂ©s, je signai sans difficultĂ© Albert Camus. Le scribouillard criminel eut un haut le cƓur. Le flingue sous son nez le calma vite. Il appela deux personnes du salon pour contresigner. Parmi elles, la jolie brune sans son joli sourire. Je soufflai vers elle ― Je n’ai pas le choix. Cinquante cinq ans, des rides apparentes et pas mal d’autres cachĂ©es, sans ami, sans enfant, sans mĂšre dĂ©cĂ©dĂ©e ni pĂšre inconnu
 et cerise sur le gĂąteau, le chĂŽmage. En plus, la conviction insupportable que ce que j’écris n’aboutit pas parce que c’est insignifiant ! Elle ne cilla pas, signa, tendit la feuille au notaire qui antidata, me donna un double et promit de faire inscrire ça Ă  la date et au registre convenable. Il avait intĂ©rĂȘt
 Dans le vestibule, la jolie petite voix sonna dans mon dos. Je me tournai. ― On se calme, fit-elle. Je ne dirai rien, comme tous les autres, d’ailleurs. Mais je suis curieuse. Pourquoi Camus ? Parce que vous Ă©crivez ? Je rangeai l’arme Ă  ma ceinture. Oui, oui, j’écrivais ! Mais sans jamais avoir Ă©tĂ© reconnu ni mĂȘme Ă©ditĂ©, sinon Ă  compte d’auteur
 Je n’envoyais mĂȘme plus mes manuscrits. Bref, au lieu des sunlights et surtout de la lumiĂšre que je tentais d’écrire, ma vie restait noyĂ©e dans un noir Ă©pais. Je me demandais combien de temps j’aurais envie de continuer. Et puis voilĂ , je venais de lire un article 2013 centenaire d’Albert Camus ». En France, les ayant droits hĂ©ritiers des auteurs empochent les droits jusqu’à 70 ans aprĂšs le dĂ©cĂšs. Je tirai une feuille de mon porte-document L’Etranger de Camus est le best-seller absolu chez Gallimard six millions et demi d’exemplaires dĂ©jĂ  vendus en France 150 000 par an, en moyenne, les droits de traduction cĂ©dĂ©s dans 58 pays. Sa fille rappelle que les droits d’auteur entre 8 % et 14 % du prix du livre sont divisĂ©s entre elle et son frĂšre 
 » Figurez-vous, commentai-je, que ma mĂšre a toujours dit avoir bien connu Albert », Camus de son patronyme. Je n’ai pas les moyens de vĂ©rifier. Mais
 je le sens. En moi la mĂȘme exaltation de l’air vibrant et de l’aveuglante lumiĂšre. Je suis le second fils de l’écrivain. J’en suis sĂ»r. Du coup, je ne vais pas quitter mon studio pour la rue. Un enfant naturel est maintenant hĂ©ritier, au mĂȘme droit que les autres. Un bonheur ! Et une chance
 À un euro environ de droits d’auteur par livre, cela fait une manne de 150 000 euros par an au strict minimum, Ă  diviser par 3 pour chacun des trois enfants de Camus les deux autres et moi 
 soit 50 000 pour moi, une fois reconnu enfant naturel. Avec effet rĂ©troactif depuis 50 ans, le total ira chercher dans les 2 500 000 euros ! Il m’a suffi d’acheter un pistolet au rayon des jouets d’un grand magasin. Cela fait plus vrai que vrai, non ? Et de me poster chaque jour Ă  la laverie d’en face. Ah, mon linge est impeccable ! Et moi, j’ai su que le notaire reçoit sa famille chaque samedi. La fille avait retrouvĂ© son sourire. Elle rouvrit la porte d’entrĂ©e en disant simplement ― Je vois. Seulement, figurez-vous que les droits d’auteur sont remis en question et que, de toute façon, leur durĂ©e doit ĂȘtre renĂ©gociĂ©e. Et puis, en la matiĂšre, si par chance le testament n’était pas dĂ©noncĂ© par les autres hĂ©ritiers et soumis Ă  enquĂȘte, il ne devrait pas y avoir d’effet rĂ©troactif. ― Ah bon ? Vous croyez ?
 Et d’abord, comment savez-vous ça ? ― C’est mon mĂ©tier. Et je crains pour vous un ratage de plus ! Dernier ouvrage paru En AlgĂ©rie sur les pas de Jean Boudou », Ă©ditions Vent terral ; "A la santĂ© des Pachas", Ă©ditions AprĂšs la lune coll. Bel Horizon dirigĂ©e par Yasmina Khadra. Normale Sophie LoubiĂšre J’avais cuit de la confiture de fraises la veille au soir et la cuisine sentait bon le parfum des fruits tournĂ©s en sirop. Mon doux Ă©poux rĂ©chauffait une gaufre dans le toaster pour le petit qui sommeillait encore, affalĂ© dans le canapĂ© du salon devant la quarante troisiĂšme rediffusion d’un Ă©pisode de Dino Train. Le visage apaisĂ© par le souffle de la nuit, mais les paupiĂšres gonflĂ©s comme des prunes, j’attaquai ferme mon mari et s’il consultait un spĂ©cialiste ? Parce que ça relevait du calvaire de supporter un ronflement pareil ; la lutte devenait inĂ©gale. Quelle que soit la position dans laquelle je le replaçais, bras rabattu sur le ventre, nuque Ă  l’horizontale, le grognement reprenait forte sur l’oreiller. Les bouchons d’oreille me plongeaient dans un vide sonore abyssal terrifiant dont je m’éveillais en sursaut en plein cauchemar. Etienne devait faire quelque chose. La rĂ©ponse fut Ă  la hauteur de la pertinence de ma question. – T’as pas rachetĂ© de lait ? La pluie rabattait dĂ©jĂ  sur la vitre une allĂ©gresse d’automne au printemps. Sur l’étiquette des bocaux de confiture, Ă©tait Ă©crit confiture de fraises, 5 mai 2012. Ma vie avait changĂ©. Radicalement changĂ©. Mais ça ne datait pas d’hier. Depuis qu’une radio de service public avait dĂ©cidĂ© de mettre fin Ă  une collaboration de dix-sept annĂ©es par l’entremise d’une sorciĂšre aux pouvoirs redoutables - dixit le fiston - je taisais ma voix. Je ne lisais plus de livres sinon des contes Ă  mon schtroumpf. Je ne recommandais plus les bouquins des autres aux auditeurs sinon les miens dans certains salons littĂ©raires prout prout. Je n’inventais plus d’émission poil Ă  gratter pour naviguer tel un farfadet sur les ondes, Ă  cheval sur les genoux de Pierre Dac tout en chatouillant la coccinelle de Marcel Gotlib. Alchimiste tutĂ©laire, je ne dosais plus l’émotion et le frisson sur un logiciel de montage audio jusqu’à minuit passĂ© en ayant oubliĂ© de faire les courses. Je n’emmerdais plus ma rĂ©alisatrice avec mes fignolages au mixage. Je ne jonglais plus avec des CD de musique de film par-dessus la tĂȘte de mon assistante ou du gentil monsieur originaire de l’Afrique du Nord venu vider les poubelles de mon mini bureau en open space situĂ© juste en face de quatre ascenseurs - bureau que trĂšs Ă©tonnamment, personne ne m’enviait. Je ne recevais plus les grands de ce monde Ă  table dans leur restaurant fĂ©tiche, cachant sous les serviettes des techniciens de Radio France munis de micros espion et de rudes appĂ©tits pour les confidences. Je n’inventais plus par Ă©crit des bĂȘtises gourmandes de mots et de sensations sucrĂ©es, des jeux idiots Ă  pratiquer seul dans un parking ou sur le plage. Je ne tenais plus la main de nouvelles plumes tout en leur donnant un coup de pouce avec un enthousiasme de jeune fille. Je n’allais plus voir de films au cinĂ©ma pour Ă©couter la musique et sangloter de bonheur - la faute Ă  Alexandre Desplat, encore un compositeur que les AmĂ©ricains nous ont soufflĂ© sur l’échiquier
 Je ne croulais plus sous les invitations des attachĂ©es de presse sauf erreur de leur part. Je n’étais plus persona grata dans les soirĂ©es pince-fesse sauf divagation de listing. Je ne recevais plus cent cinquante mails par jour - mais sept, dont cinq courriels commerciaux indĂ©sirables. On ne m’appelait plus pour que je parle du dernier chef d’Ɠuvre de Guillaume Musso. Les jours de la semaine, je ne me maquillais plus dans le RER. Le vendredi, je ne courrais plus d’une radio Ă  une autre pour enregistrer une chronique et annoncer la parution du nouveau Craig Johnson. DorĂ©navant, je travaillais chez moi, Ă  la maison, dans ce bureau d’une surface Ă©quivalente Ă  un studio parisien, avec une cheminĂ©e et deux fenĂȘtres ouvertes sur un jardin envahi de pruniers et de marronniers, poussĂ©s en 9-3. Je travaillais Ă  ma propre personne, ma jolie constellation narcissique, aux hĂ©ros de mes romans Ă  l’eau de vie et j’avais du temps pour le repassage. La porte refermĂ©e sur le pĂšre et le fils, la chienne nourrie des restes de poulet, la vaisselle rangĂ©e et les coussins du canapĂ© bien alignĂ©s, je remontai dans mon bureau y relire un dernier chapitre en cours de rĂ©daction, une petite nouvelle passĂ©e au cirage noir. Et lĂ , dans un grand Ă©lan du cƓur, avec la sincĂ©ritĂ© d’une misĂ©rable fourmi, comme des millions de Français, sans attendre autre chose que la possibilitĂ© de faire ce mĂ©tier miraculeux d’écrivain hors limite le plus longtemps possible, je bossais sans ĂȘtre rĂ©munĂ©rĂ©e Ă  la juste valeur de l’ampleur de la tache, en toute normalitĂ©. Il paraĂźt qu’un prĂ©sident normal, mĂȘme avec en hĂ©ritage une dette nationale aussi catastrophique qu’un bon film de genre signĂ© Michael Bay et des milliers d’emplois qui se barrent en couilles dans l’industrie automobile, ça peut redonner plus qu’un espoir, faire refleurir la culture dans les Ă©coles, la fantaisie dans les mĂ©dias, repulper l’impertinence des journaux et magazines, trouver des sous pour payer correctement ceux qui font tout le boulot et dĂ©loger les crabes qui s’accrochent Ă  leurs incompĂ©tences, les ambitieux aux pieds crottĂ©s. Il paraĂźt que les sorciĂšres aussi finissent Ă  la retraite. C’est le fiston qui me l’a dit. Puisse-t-il avoir raison et qu’un jour, devant, s’ouvrent de nouvelles ondes en chatoiement oĂč poser mes lĂšvres, chuchoter Ă  l’envie. Et puisse les prochaines confitures de fraises ĂȘtre bonnes. En 2013. Dernier ouvrage paru L’enfant aux cailloux », Fleuve noir, prix Lion noir 2012, prix Ville de Mauves 2012. Premier cafĂ© Philippe Masselot Ainsi, la fin du monde n’avait pas eu lieu
 Ce fut sa premiĂšre pensĂ©e, avant mĂȘme d’ouvrir les yeux. A l’abri derriĂšre les paupiĂšres closes, il sentit son corps s’éveiller, une fois encore, son souffle et son cƓur prendre leur rythme de croisiĂšre. Il dĂ©plaça doucement la main droite, identifia la surface molletonnĂ©e du drap. Finalement, il avait regagnĂ© son lit, d’instinct, ou au radar, aprĂšs avoir vidĂ© les bouteilles en l’honneur de cette Saint-Sylvestre qui, au dire de certains, n’aurait pas dĂ» arriver. Il ouvrit doucement les yeux. Une franche lumiĂšre entrait dans la chambre par la seconde fenĂȘtre dont il avait oubliĂ© de baisser le volet, la veille au soir. Il se tourna sur le dos, commença Ă  Ă©tendre les jambes mais suspendit son effort quand il sentit venir la crampe dans le mollet. Les toxines du vin blanc
 Il se redressa, posa les pieds au sol, et la douleur disparut. Il avait dormi tout habillĂ©, ou presque il lui manquait l’une de ses Converses. Machinalement, il chassa l’autre du bout des orteils. La chaussure atterrit Ă  cĂŽtĂ© de ce qu’il identifia comme une petite culotte de Cassandra. Trois. Et demi. Preuves indiscutables de sa beuverie de la veille, les cadavres de Muscadet trainaient entre les coquilles d’huitres et de bulots Ă©parpillĂ©s Ă  mĂȘme la nappe. A la vision du chantier, comme disait sa mĂšre, il se sentit d’un coup fatiguĂ© et barbouillĂ©. L’odeur de marĂ©e basse et de vin aigri chassa toutes ses autres impressions. Il ouvrit la porte de la cuisine et respira un grand coup sans franchir le seuil. Un franc soleil ne venait pas encore Ă  bout des traces de gelĂ©e qui blanchissaient la pelouse. Sous le rosier taillĂ© et prĂ©parĂ© pour l’hiver il devina une touffe de perce-neiges qui pointaient le bout de leur tige. Encore quelques jours et les petites fleurs seraient lĂ . Le tĂ©lĂ©phone le rappela Ă  l’intĂ©rieur. Premier coup de fil de l’annĂ©e
 – Oui, merci maman, toi aussi, une excellente annĂ©e. Non, je n’ai pas oubliĂ©. Treize heures, ça ira ? OK, bye
 Il prĂ©para du cafĂ© puis entreprit de mettre un peu d’ordre dans la cuisine, l’esprit ailleurs. Le souvenir de sa soirĂ©e n’était pas trĂšs clair. Il y avait eu les courses, dans l’aprĂšs-midi, puis sa remarque anodine et les cris de Cassandra, la porte qui avait claquĂ©. Finalement, elle n’était pas rentrĂ©e cette fois, le canapĂ© Ă©tait restĂ© vide. Il s’efforça de ne pas s’inquiĂ©ter. Ils n’avaient encore rien bu quand leur dispute avait Ă©clatĂ©, il Ă©tait tĂŽt. Elle avait dĂ» aller chez les Delcambre. A coup sĂ»r. Il voyait trĂšs bien cette petite garce de Julie en consolatrice prĂȘte Ă  en rajouter. Car elle n’avait pas pu lui donner les raisons exactes de leur dispute. Toujours la mĂȘme chose, ses idĂ©es Ă  la con
 Le crachotis de la cafetiĂšre le ramena vers la cuisine. Il se servit une bonne tasse, se souhaita bonne annĂ©e en la levant devant lui. Toujours les mĂȘmes horreurs
 Et si on profitait de l’annĂ©e nouvelle pour repartir de zĂ©ro. Trois cent soixante cinq jours tout neufs. Un gamin, un bĂ©bĂ©, c’est ça qu’il lui fallait peut-ĂȘtre, qu’elle oublie le reste, ses discours, ses thĂšses qui ne lui ressemblaient pas
 Il eut soudain trĂšs envie d’une prĂ©sence, qu’on lui parle. Quelle drĂŽle de façon de dĂ©marrer l’annĂ©e, seul entre les reliefs d’un repas en cĂ©libataire. Il alluma la radio. Eux non plus, lĂ -bas, Ă  l’autre bout des ondes, ne semblaient pas vouloir profiter de cette nouvelle annĂ©e pour repartir sur du neuf, chasser toute la merde et se dire on essaye autre chose ! La mĂȘme pub pour le nutella qu’hier, que l’annĂ©e d’avant. – Bonne annĂ©e Ă  ceux qui viennent de nous rejoindre. Nous sommes le premier janvier deux mille treize, les infos, Claire Cervajean. – Bonjour. Moins de voitures brĂ»lĂ©es cette annĂ©e dans notre rĂ©gion, le prĂ©fet se fĂ©licite des mesures prĂ©ventives mises en place notamment dans l’agglomĂ©ration lilloise oĂč le nombre de vĂ©hicules incendiĂ©s a Ă©tĂ© divisĂ© par deux par rapport Ă  deux mille douze. Par contre cette nuit une vingtaine de sĂ©pultures de soldats juifs et musulmans ont Ă©tĂ© profanĂ©es au cimetiĂšre militaire d’Ecoivres, Ă  proximitĂ© d’Arras. Nous entendrons tout Ă  l’heure la rĂ©action indignĂ©e du conservateur de ces sites. Pour l’heure, nous rejoignons mĂ©tĂ©o-France
 Il coupa la radio un bruit de moteur, des roues qui Ă©crasent les cailloux de l’allĂ©e. Il se leva et vit Cassandra qui descendait de la clio. Il fut soulagĂ©. Comment l’accueillir ? Il se jette dans ses bras, ou feint l’indiffĂ©rence. Le visage sombre de la jeune femme mit un terme Ă  ses hĂ©sitations. Elle ĂŽta son blouson et le posa sur la premiĂšre chaise. – Tu veux un cafĂ© ? – Je vais me servir. Silence cafĂ©, les yeux dans le vague. Il se glissa sur la chaise qui lui faisait face. – Alors ? – Quoi ? – Bonne annĂ©e
 – Connard. Il posa sa tasse. – Ecoute
 Ça recommençait. Du coup ses arguments de renouveau, le bĂ©bĂ©, tout ça lui semblait beaucoup moins Ă©vident. Elle posait les coudes sur la table, tenait nĂ©gligemment son bol Ă  hauteur de son joli visage. Son pull moulait sa poitrine, ses seins sur lesquels il avait encore posĂ© sa tĂȘte quelques jours auparavant. D’un coup il eut trĂšs envie de lui faire l’amour, de lui crier qu’il l’aimait, de lui montrer. Mais
 Elle avait terminĂ© son cafĂ©. Elle posa le bol, le regarda, cruelle et moqueuse. – J’écoute
 Il s’entendit prononcer – J’ai Ă©coutĂ© la radio ce matin. Elle pencha la tĂȘte en arriĂšre et adressa au plafond un rire silencieux. Il continua – Tu y Ă©tais ? Elle lĂącha un petit gĂ©missement. Triomphe retenu. – Bien sĂ»r. Tu aurais dĂ» y ĂȘtre aussi. Il secoua la tĂȘte. AnnĂ©e nouvelle. Repartir sur des bases neuves. Pas celles qu’il avait envisagĂ©es, un temps. – Non, je ne veux plus entendre ces conneries. Ta race supĂ©rieure, les autres dehors
Tout ça, c’est terminĂ©. Elle continuait d’afficher un sourire imperturbable. Il savait que sa voix tremblait. Il tenta malgrĂ© tout une manƓuvre dĂ©sespĂ©rĂ©e, mĂȘme s’il n’en avait plus tout Ă  fait envie, histoire de ne pas avoir de regrets, un jour, ou tout Ă  l’heure. Dans un souffle, il ajouta – J’avais pensĂ©, toi et moi
un bĂ©bé et puis
 – Et puis ? – Rien. Le sourire de Cassandra se transformait peu Ă  peu en rictus de mĂ©pris. Il savait ce que cela annonçait. La mĂȘme scĂšne, les arguments nationalistes cent fois repris, la porte qui allait claquer. Il prit les devants. – Alors voilà
Je ne crois pas en tes thĂ©ories. Et mĂȘme, je crois que je vais prendre le contrepied. Non, tais-toi, cette fois c’est Ă  toi d’écouter. Je t’ai aimĂ©, mais je crois que tout ça c’est en train de se terminer. Je vais avoir mal, trĂšs
 il vit son sourire revenir un instant, mais tant pis. Tu vas sortir de ma vie. Tu vas rejoindre les autres ordures avec qui tu Ă©tais cette nuit. – Tu me vires ? La voix reflĂ©tait sa stupĂ©faction. Il en ressentit une certaine joie. – Oui. Il posa une fois encore les yeux sur la courbe de sa poitrine. Ne pas faiblir
 – Tu dĂ©gages. Je dĂ©poserai tes affaires chez les Delcambre tout Ă  l’heure. Le bol frĂŽla sa tĂȘte et alla se pulvĂ©riser sur le mur. Il n’avait pas bougĂ©. – Salaud. – Non, je ne crois pas. Mais cela irait peut-ĂȘtre bien Ă  quelqu’un qui renverse des croix ou d’autres trucs religieux dans un cimetiĂšre. Elle fit deux pas vers la porte, saisit son blouson, puis se retourna vers lui. – Tu vas me dĂ©noncer ? Il sourit tristement. Elle en Ă©tait là
 – Non. Ça, ce sont vos mĂ©thodes. Elle releva la tĂȘte avec une certaine fiertĂ©, s’habilla. – Je vais faire mieux, prĂ©cisa-t-il. – Quoi ? Il perçut une certaine inquiĂ©tude dans sa voix. Ça n’était pas si difficile, finalement. Il dĂ©tailla une derniĂšre fois la silhouette si familiĂšre, les jambes moulĂ©es dans le jeans faussement Ă©limĂ©. Il prit deux secondes avant de rĂ©pondre, maintenant sa voix Ă©tait posĂ©e. Il la regarda droit dans les yeux – Me mĂ©fier. RĂ©digĂ© dans la 11Ăšme circonscription du Pas de Calais, juin 2012. Dernier ouvrage paru Stop au tueur de crabes ! », Airvey jeunesse Ă©ditions ; Mistral gayant », Ravet Anceau. De l’électricitĂ© dans l’air Ricardo Montserrat 2013, revient Ă  Paris RaĂŻs El Alayud, volontaire de la Brigade franco-maghrĂ©bine envoyĂ©e en Afrique aider le peuple touareg Ă  rĂ©sister Ă  la pression salafiste. Toujours le premier Ă  l’assaut quand ses camarades hĂ©sitaient Ă  y aller, le premier Ă  tendre la main aux prisonniers quand ses potes les mĂ©prisaient, Ă  donner des soins aux mourants, quand ils lui criaient de les achever, le premier encore Ă  murmurer des mots apaisants Ă  ceux qui avaient perdu maison, raison et espĂ©rance. Cette guerre, il aurait voulu qu’elle durĂąt, chaque heure Ă©tant un bonheur pour celui que les nomades appelaient le GĂ©nĂ©reux. Et puis retour Ă  la case racisme, ennui, humiliation de n’ĂȘtre plus qu’un rebeu, un sous-homme, un dĂ©linquant dans le regard de ceux qu’il croise. S’il n’avait autant aimĂ© les filles, la fĂȘte, le vin et la RĂ©publique – oui, la RĂ©publique qui lui avait permis de passer du statut de moins que rien Ă  mieux que rien – il serait restĂ©. Au bout d’une journĂ©e Ă  tourner en rond avec ses camarades, passage par l’ÉlysĂ©e, les tĂ©lĂ©s, puis tournĂ©e des grands ducs, il revient Ă  la citĂ© Guy-Moquet oĂč il a grandi. Depuis la mort de ses parents dans l’incendie qui a ravagĂ© leur appartement au cours des nuits brunes dĂ©clenchĂ©es par les identitaires, il n’y a pas remis les pieds. Mais la citĂ©, c’est sa famille, une famille soudĂ©e par la rage et la mouise. RaĂŻs demande aux frangins du bloc B de l’hĂ©berger jusqu’à la prochaine guerre. Elle ne saurait tarder. Il ne se fait pas d’illusions. Chaque guerre porte en elle le germe de la suivante. Bon cĂŽtĂ© ou pas, Ă  chaque pĂšre qui tombe dix fils se lĂšvent, Ă  chaque fille violĂ©e dix enfants enragĂ©s. Chaque fois qu’il a vu Ă  travers la mire un homme s’effondrer, il a Ă©crit une page de l’histoire Ă  venir. Rien ne s’arrĂȘte avec la mort de celui qu’il venait de tuer. BientĂŽt, c’est lui qui sera dans la mire de la mort. Peur ? Non. Bien plus peur de la peur qu’il trouve dans la tĂȘte de ses potes d’enfance. Eux, ils ont peur. Peur de mourir. Sans avoir vĂ©cu. VĂ©cu. De temps en temps, l’un d’eux perd la vie dans un rĂšglement de comptes, une virĂ©e sans casque, un aller-retour vers l’Espagne, une bavure, un pneu qui Ă©clate, une surdose. Accidents, jeux dangereux, paris stupides qui permettent d’échapper Ă  l’angoisse de la mort par usure. Il les Ă©coute parler de la guerre des banlieues, hausse les Ă©paules. — Vous regardez trop de films. La guerre n’est pas un jeu vidĂ©o. — Pourquoi t’es rentrĂ© ? Quand ils vont savoir qui tu es, ils vont t’aligner vite fait. Depuis les Ă©meutes, ces mecs tirent d’abord. Les keufs pareil. — J’aurais dĂ» y rester ? — Peut-ĂȘtre. Tu pourrais intĂ©grer un gang. Un tireur comme toi, ça vaut de l’or chez les bracos. — Je veux un taf tranquille. Vigile ou convoyeur. Garde du corps. — MĂȘme en uniforme, plus personne ne veut de nous. L’austĂ©ritĂ©. Chacun se dĂ©brouille dans son ghetto. Les fachos sont partout et veillent Ă  la bonne utilisation de l’argent public. A la Poste, au PĂŽle emploi, aux Allocs... La guerre, on te dit. Madame Lapin a fait plein de petits, Ă  gauche comme Ă  droite. Du coup, de notre cĂŽtĂ©, c’est pire. Les Marocains ne sacquent plus les AlgĂ©riens, les Arabes les Noirs, les Noirs les Comoriens. Les musulmans se dĂ©chirent. Les Gaulois comptent les points
 Les mĂ©docs et la dope lĂ -dessus, ça explose dans tous les coins. — Je fais quoi alors ? — Marchand d’armes ! T’as des contacts, non ? On n’arrive plus Ă  fournir. — Z’ĂȘtes malades ! Une arme transforme n’importe quelle petite bite en superconnard. Latifa, la gazelle que jadis il voulait Ă©pouser, murmure. — Deviens un hĂ©ros. On donnera ton nom au bloc. Ils n’oseront plus nous toucher. — Je suis un hĂ©ros ! — Prouve-le, meurs en hĂ©ros. Un vrai hĂ©ros, il est mort. Crever pour crever, nous aussi on crĂšve, mais sans que personne ne le voie. Pour eux, on est des rats. Ils nous poussent Ă  nous entretuer ou ils dĂ©ratisent. — Tu veux bien ĂȘtre ma veuve ? — Tu as une assurance-vie ? AprĂšs tout
 Ça, le livre de l’histoire Ă  venir n’a pas dĂ» le prĂ©voir. Il vole Ă  l’arrachĂ© un phone. Donne trois coups de fil. Attend la rĂ©ponse. Positive. Bonne pĂȘche. “Elle“ viendra. Gare du Nord. TrĂšs peu de voyageurs remarquent sur la droite de la gare, cĂŽtĂ© RER, une plaque sur le mur de l’ancien soldeur, avertissant qu’à quinze centimĂštres sous le bitume, se trouve une ligne Ă  haute tension. Il pose quelque plots, deux barriĂšres, du ruban rouge et blanc, et perfore le trottoir. Les voyageurs passent, les clodos s’arrĂȘtent, s’éloignent quand il dĂ©coche son regard de tueur. On en apprend des choses Ă  l’armĂ©e. Il regarde l’heure. Il a le temps. Il rĂšgle les jouets ramenĂ©s de lĂ -bas. Il range, retourne se changer dans la camionnette, remet la tenue de soldat d’élite, bĂ©ret et mĂ©dailles, vĂ©rifie son arme. Un Sous les mots, les sentiments. La camionnette laisse la place Ă  un 4X4 officiel qui se range tout prĂšs de ses barriĂšres. Latifa lui sourit. RaĂŻs va alors attendre le TGV en provenance de Lens. Madame Lapin en descend, accompagnĂ©e de deux costauds. Ils lui rendent son salut. Madame murmure qu’elle est impressionnĂ©e par ses mĂ©dailles. — Bah
 Suivez-moi, on vous attend. L’ArmĂ©e compte sur vous, madame. — Je suis au service de la France. La blonde au visage dur a une dĂ©marche de travesti. Plus elle forcit, plus on dirait son pĂšre avec une perruque. Les voyageurs l’applaudissent, trĂšs peu se dĂ©tournent. Elle rĂ©pond par un sourire de commande ou une moue mussolinienne. Ils passent prĂšs des barriĂšres. Compte Ă  rebours. Latifa sort du 4X4, ouvre la portiĂšre avec une raideur toute militaire. Lapin remercie. A peine s’assoit-elle que Latifa et RaĂŻs bondissent en arriĂšre. Un arc Ă©lectrique traverse l’espace entre le chantier et la limousine, calcine la passagĂšre puis les gorilles qui ont voulu lui prĂȘter secours. Les passants se sont pĂ©trifiĂ©s, aveuglĂ©s par l’arc qui semble pĂ©nĂ©trer entre les jambes de la matrone nationale. En ionisant les molĂ©cules de l’air qui, d’isolant devient conducteur, l’électricitĂ© non seulement se rend visible, mais sa chaleur est si puissante qu’elle traverse les matiĂšres les plus rĂ©sistantes et brĂ»le idĂ©es noires et lunes mortes. Dernier ouvrage paru Mine de Rien », avec le Secours populaire 62, Ă©ditions Baleine. En tournĂ©e le spectacle Naz », mise en scĂšne Christophe Moyer. Un casse bien Ă©chafaudĂ© FrĂ©dĂ©ric Prilleux Une ville, un meublĂ© miteux, le 4 juin 2013... Je ne suis pas bien certain d’ĂȘtre tout Ă  fait sĂ»r de l’efficacitĂ© de ce plan, Richard. Puisque maintenant c’est Richard. Et moi, c’est quoi, dĂ©jĂ  ? Pierre ? Celui qui vient de parler a la cinquantaine hiĂ©ratique et le nez Ă  piquer les gaufrettes. Celui qu’il interroge est brun, tout aussi quinqua ; il a l’air un peu contrariĂ©. Normal. VoilĂ  une heure Ă  peine qu’ils sont enfin rĂ©unis tous les trois, et pour la cinquiĂšme fois au moins depuis leurs retrouvailles, il doit rĂ©expliquer la situation. Il prend son souffle. Louis. Toi, c’est Louis. Moi, c’est Richard. Ça, t’as bien retenu, bravo. Et lui, c’est Henri. Et pourquoi ces nouvelles identitĂ©s ? Parce que, maintenant qu’on est sortis, il s’agit de pas replonger aussi sec. On commence donc par se refaire une virginitĂ© patronymique rien de mieux qu’un nouveau blase pour repartir sur de nouvelles bases. DĂ©jĂ  qu’on est devenus mĂ©connaissables physiquement, et comme qui dirait des quasi-anonymes dans la foule des inconnus, autant profiter de l’aubaine, non ? T’appelle ça une aubaine ? Ben moi, je la regrette, ma bedaine. Je me sens presque tout nu. La zonzon, c’est pas bon pour les rondouillards, moi je vous le dis, les gars. Lui, c’est celui qui n’avait encore rien dit. Il a tout de l’ancien gros, il flotte dans un costume Ă  carreaux auquel il manque les poches, qui ont prĂ©fĂ©rĂ© trouver refuge sous ses yeux. La prison, c’est bon pour personne, Henri. Mais regarde-toi t’as gagnĂ© une silhouette d’athlĂšte et rasĂ© ta barbe hirsute. Louis a laissĂ© ses grands airs au vestiaire. Quant Ă  moi, j’en ai profitĂ© pour remplacer mon bandeau par un oeil de verre tout neuf. C’est pas dur, je me demande mĂȘme si c’est pas grĂące Ă  lui que j’ai eu ces visions de toutes ces richesses qui nous attendaient Ă  la sortie. Ouais, ben en attendant, moi, ce que je vois surtout, c’est que tu te prends pour notre chef Ă  tous les trois. Tss, Tss, Tss, Louis... Te voilĂ  devenu bien mesquin. Je suis sorti avant vous, et j’ai eu le temps de cogiter, et de tout prĂ©parer, c’est tout. Bon. Je vous passe le projet en revue encore une fois. Ecoutez et regardez. Les trois hommes se pressent un peu plus autour de la table. Un plan de la ville y est Ă©talĂ© ainsi qu’un jeu de photos - des Ă©chafaudages masquant une devanture - et un horaire des bus. VoilĂ . J’ai repĂ©rĂ©, rue Yves Tanguy, cette agence bancaire tout Ă  fait dans nos cordes. Je vous rappelle pourquoi. Un, c’est une toute petite banque, La Nouvelle SolidaritĂ©, donc avec des moyens de surveillance restreints. Deux, et c’est lĂ  le plus intĂ©ressant, elle est en travaux depuis plusieurs semaines, ce qui va faciliter nos mouvements et nous permettre de jouer le rĂŽle d’ouvriers du chantier. J’ai observĂ© pendant quinze jours le roulement des Ă©quipes, et au moment de la pause de midi, il y a toujours une demi-heure oĂč l’endroit est dĂ©sert. C’est Ă  ce moment-lĂ  que nous arrivons, en bleu de travail, pĂ©nĂ©trons dans la banque avec nos armes factices, on tient le personnel en joue, on lui faire remplir nos sacs et on repart, peinards, en bus. Mais t’es bien sĂ»r que l’agence, elle n’est pas fermĂ©e au mĂȘme moment ? Certain ! Ils bossent non-stop de 8h Ă  19h. Une petite banque qui met sĂ»rement les bouchĂ©es doubles pour arriver Ă  la hauteur de ses concurrents. Et t’es sĂ»r que question vigiles, on risque pas de tomber sur un os ? T’es rentrĂ© pour vĂ©rifier ? Pas fou ! Pour qu’on me reconnaisse sitĂŽt passĂ© la porte ? Non, pas de reconnaissance directe du terrain. Mais j’ai observĂ© les entrants. En fait, j’ai vu, pendant ces quinze jours, toujours les mĂȘmes types en costard cravate, quatre en tout, arriver Ă  7h45, repartir Ă  12h15, revenir Ă  14h et quitter la banque Ă  19h15. Les seules personnes qui restent tout le temps ce sont les deux femmes qui sont Ă  l’accueil derriĂšre leur guichet. Une brune et une rousse. Regardez, on les voit bien, lĂ , sur les photos que j’ai prises. En effet, elles m’ont pas l’air bien farouche. Mais y a tout de mĂȘme deux points qui me chiffonnent. D’abord, ces faux flingues, lĂ . J’en avais jamais vu des comme ça. Tu crois qu’ils vont faire illusion longtemps ? Aussi sĂ»r que je m’appelle Richard ! Tu vois, je les ai dĂ©gottĂ©s dans un magasin de jouets, et le vendeur a Ă©tĂ© formel ce sont des rĂ©pliques des derniers joujous de l’armĂ©e amĂ©ricaine, et avec ça, on est au top. Elles imitent mĂȘme le bruit de la rafale, mais ça, j’ai pas encore trop Ă©tudiĂ© le truc. Mais no stress les poteaux, ces guns-lĂ , c’est notre passeport pour Vegas ! Comment tu causes, toi... Moi, c’est pas que je stresse mais j’suis un peu comme Louis, rapport Ă  un autre truc qui me dĂ©frise. C’est le coup du bus ça craint pas un peu, ça ? Mais bien sĂ»r que non ! C’est mĂȘme tout l’inverse. On repart comme d’ honnĂȘtes travailleurs, qui prennent les transports en commun, et hop ! Ni vu, ni connu. Et lĂ  aussi, j’ai vĂ©rifiĂ© en quinze jours, jamais le chauffeur de la ligne 22 n’a eu une minute de retard Ă  l’arrĂȘt Yves-Tanguy de 12h47. C’est justement lĂ  qu’on sera, pile Ă  l’heure. Moi je vous le dis les gars en Ă  peine trente minutes, on s’en met plein les fouilles, comme Ă  la grande Ă©poque ! C’est une question d’heures, de minutes, mĂȘme de secondes, maintenant ! Henri et Louis hochent la tĂȘte, pensifs. Pour achever sa dĂ©monstration, Richard sort trois verres et une bouteille de biĂšre tiĂšde de l’unique placard de la piĂšce, et le trio lĂšve ses verres Ă  la rĂ©ussite de ce coup imparable. Demain. Rue Yves Tanguy, le 5 juin 2013 12h15. Les trois hommes, en salopette, s’élancent en direction de l’agence de la Nouvelle SolidaritĂ©. Le chantier est bientĂŽt terminĂ©, l’échafaudage est presque entiĂšrement dĂ©montĂ©. 12h16. Ils pĂ©nĂštrent tous les trois dans l’agence, qui n’a pas de sas de sĂ©curitĂ©. Ils sortent leurs armes dans le mĂȘme mouvement et Louis crie Plus un geste ! ». L’hĂŽtesse lĂšve les yeux, surprise et dit Oui ? », tout en actionnant en mĂȘme temps une touche de son Smartphone. 12h17. Kurt et JosĂ© reçoivent un code 33. Ils foncent. 12h18. Le trio flotte un peu. Les lieux ne ressemblent pas trop Ă  une banque. L’hĂŽtesse n’a pas bougĂ© d’un poil. Louis s’approche et lui colle son arme sous le nez. Le fric, et vite ». 12h19. L’hĂŽtesse lĂšve les bras et recule. Richard contourne son guichet et la somme de les mener au coffre. Elle ne bouge pas. 12h20. Richard et Henri commencent Ă  se poser des questions. 12h21. Deux colosses en costume noir dĂ©boulent. Louis, qui surveillait l’entrĂ©e, les tient en joue sitĂŽt la porte franchie. 12h22. L’hĂŽtesse saisit l’arme de Richard par le canon et la lui arrache d’un coup sec. 12h23. PaniquĂ©, Henri appuie sur la gĂąchette une rafale assourdissante envahit la piĂšce, suivie d’un synthĂ©tique Com’ on boys ! For Uncle Sam ! » 12h25. Louis reçoit un direct de Kurt, au menton KO au sol. Richard et Louis lĂšvent aussitĂŽt les mains sous la menace du P 35 de JosĂ©. 12h28. La police est prĂ©venue de l’incident. L’hĂŽtesse envoie aussitĂŽt l’enregistrement de la scĂšne au commissariat du quartier. 12h29. Le trio est priĂ© de s’asseoir bien sagement en attendant l’arrivĂ©e de la marĂ©chaussĂ©e. 12h45. Les ouvriers de la sociĂ©tĂ© Raval’Rapid finissent de dĂ©monter leur Ă©chafaudage. Puis ils nettoient la vitrine. L’enseigne apparaĂźt dans son entier. Agence Nouvelle de SĂ©curitĂ©. Gardes du corps. 12h46. Deux mille treize secondes aprĂšs leur entrĂ©e dans l’agence de la rue Tanguy, les ordinateurs du Grand Fichier des dĂ©linquants notoires ont identifiĂ© Louis Fort, Richard GuĂ©zennec et Henri Talle. Bien connus des services de police sous les pseudos de Croquignol, Ribouldingue et Filochard. Dernier ouvrage paru EncubĂ© », Krakoen. Lire tue Christian Rauth Le ministre de l’IntĂ©rieur vient de raccrocher au nez de son collĂšgue de la Culture. Il est minuit, l’annĂ©e 2013 se termine. Ce coup de fil met fin Ă  la carriĂšre politique du crĂ©ateur de L’AnnĂ©e de la Culture. Certes les services du premier flic de France ont merdĂ©, mais Ă  y regarder de plus prĂšs, le ministre de la Culture et de la Communication ne peut pas leur en vouloir. Sans sa lumineuse idĂ©e, rien de ce qui s’est passĂ© depuis un an n’aurait existĂ©. AprĂšs La fĂȘte de la Musique et La JournĂ©e Sans Tabac, l’AnnĂ©e du Patrimoine et la JournĂ©e de la Femme dont on avait vu l’inĂ©narrable efficacitĂ©, Étienne Baroux de BĂ©zir d’évidence jaloux de ses prĂ©dĂ©cesseurs avait dĂ©crĂ©tĂ© lors de sa prise de fonction en mai 2012 que 2013 serait L’AnnĂ©e de La Culture. GrĂące Ă  cette dĂ©cision stupĂ©fiante d’originalitĂ©, son nom allait rester dans l’histoire de la RĂ©publique des Arts ! En cette nuit du 31 dĂ©cembre, autant dire qu’il aimerait plutĂŽt qu’on oublie son nom, liĂ© Ă  une annus horribilis qui dĂ©buta dans le bureau de Sylvie Vartan le 1er janvier 2013. *** La commissaire divisionnaire Sylvie Vartan elle n’avait pas choisi son nom ne pouvait imaginer que la bonne annĂ©e ! » qu’elle venait de recevoir de ses hommes de permanence pour la soirĂ©e du rĂ©veillon, n’allait durer que quelques heures. Au petit matin, elle espĂ©rait mĂȘme rentrer chez elle quand on l’informa qu’un chanteur de Rap venait d’ĂȘtre assassinĂ© dans son pavillon de banlieue transformĂ© en studio. Une fois rendue dans le neuf trois », on lui notifia que l’auteur de Dans L’cul d’ta mĂšre » avait succombĂ©, la trachĂ©e-artĂšre bourrĂ©e de feuillets imprimĂ©s. Curieux non ? S’exclama-t-elle. À y regarder de plus prĂšs, ces pages proviennent du Bescherelle Des DifficultĂ©s de la Langue Française, l’informa le type de la scientifique. On va Ă©viter de parler de ça Ă  la presse ? SuggĂ©ra Sylvie Vartan, prudente. On ne plaisante pas avec les rappeurs
 Ils peuvent le prendre mal. Commissaire ! hurla un de ses hommes en lui tendant un portable. Pourquoi les flics hurlent-t-il toujours quand ils appellent leur commissaire, se dit-elle. Elle posa le tĂ©lĂ©phone contre son oreille et Ă©couta, son visage exprimant peu Ă  peu un Ă©tonnement rieur. Oui ?... Non ?! 
 non
 non
 Un collĂšgue Ă  l’autre bout de Paris l’informait qu’on avait retrouvĂ© dans la bibliothĂšque municipale de Marne la Coquette, le cadavre de l’auteur des paroles de A toutes les femmes que j’ai baisĂ©es
 ». — ÉtouffĂ© ? SuggĂ©ra instinctivement la commissaire Vartan ? — Non. FrappĂ© Ă  mort. Sur le crĂąne
 — Ah ? — À coup de Dictionnaire de rimes
 Elle se retint d’éclater de rire, par respect pour le dictionnaire. Il lui fallait rĂ©flĂ©chir vite. La coĂŻncidence Ă©tait Ă©norme, mais les deux crimes ne pouvaient avoir Ă©tĂ© commis par le mĂȘme homme, puisque les deux victimes avaient rendu l’ñme Ă  la mĂȘme heure Ă  soixante-dix kilomĂštres de distance l’une de l’autre. Sur cette constatation, les flics regagnĂšrent leurs pĂ©nates respectives afin d’entamer leur enquĂȘte. *** EnquĂȘtes qui duraient depuis des semaines, sans avancer d’un iota. Jusqu’au jour oĂč Sylvie Vartan fĂ»t appelĂ©e par son patron, qui lui recommanda d’oublier les affaires prĂ©cĂ©dentes. Il Ă©tait dans tous ses Ă©tats. On vient de trucider le directeur de la fiction de BEST Elle existe encore ? La chaĂźne ? Non, la fiction ? Ne dĂ©connez pas Sylvie ! C’est du lourd. Politique sans doute. On marche sur des Ɠufs
 On marchait surtout dans la connerie, s’était dit Sylvie, car le macchabĂ©e avait la rĂ©putation de produire les films de tĂ©lĂ©vision les plus stupides d’Europe. Je vous Ă©coute ? Interrogea Sylvie, dĂ©sireuse de savoir comment on avait procĂ©dĂ© ? On l’a retrouvĂ© Ă  poil dans une combinaison de latex. Une combinaison verte
 Silence. — AllĂŽ ? S’inquiĂ©ta son chef. À l’autre bout du fil, Sylvie Vartan serrait les dents. Pas question de pouffer au nez de son supĂ©rieur. Une fois son calme retrouvĂ©, elle reprit la conversation. Excusez-moi, ça passe mal, patron. En gĂ©nĂ©ral ce genre de connerie en latex sado-maso, c’est rose ou noire, non ? Il jouait au martien ! On la retrouvĂ© dans un champ de crop circle » ! Je ne connais pas cette cĂ©rĂ©ale ? Ironisa Vartan. Agroglyphe, en langage savant, si vous voulez. À quoi vous jouez ? C’est l’AnnĂ©e de la Culture et je viens de vous apprendre deux mots, Vartan ! Crop Circle et agroglyphe, dĂ©signent la mĂȘme chose. Des motifs gĂ©omĂ©triques dessinĂ©s dans les champs avec des Ă©pis de maĂŻs couchĂ© sur le sol. Le genre de dessins qu’on ne peut voir que du ciel. Genre
 message martien, c’est ça ? interrogea la commissaire. C’est ça. Ça marche aussi pour le blĂ© ! ajouta-t-il en ricanant. Sylvie Vartan s’était immĂ©diatement tĂ©lĂ©transportĂ©e avec sa C4 diesel au beau milieu d’un champ de maĂŻs de la Beauce profonde. Son collĂšgue de la scientifique qui venait d’arriver hĂ©sitait sur la marche Ă  suivre. — Faut le voir pour le croire, avait-il murmuré  Vartan jeta un regard Ă©coeurĂ© sur la victime. La fermentation dans la gangue de latex lui faisait la silhouette de Jacques Villeret dans La Soupe aux Choux. Bien que tragique, cette vision lui fit penser Ă  l’irrĂ©sistible et grotesque aventure de la poupĂ©e gonflable de Wilt, le hĂ©ros du roman Ă©ponyme. — MĂȘme dans un polar, on ne voit jamais ça, avait soupirĂ© le scientifique en levant les yeux vers sa supĂ©rieure. La commissaire aurait dĂ» prĂȘter attention Ă  la remarque de son collĂšgue, mais Ă  cette Ă©poque elle n’avait pas encore l’imagination de Tom Sharp, le crĂ©ateur de Wilt. Elle se contenta de quitter les lieux avant que latex de la combinaison ne lui explose Ă  la figure. On Ă©tait en mars 2013. Elle se remit au travail, abandonnant les autres dossiers comme le patron le lui avait demandĂ©. *** En avril de cette mĂȘme annĂ©e, Ă  Marseille, on avait retrouvĂ© le cadavre d’un tagueur allongĂ© sous son dernier message fuck tout ! ». Un fuck lui aussi » avait Ă©tĂ© ajoutĂ©, juste Ă  cĂŽtĂ©, mais dĂ©licatement calligraphiĂ© en lettres peintes par une main d’artiste. Les flics avaient demandĂ© une autopsie À Marseille faut toujours demander une autopsie, qui avait rĂ©vĂ©lĂ© des poumons repeints de toutes les couleurs. Conclusion du lĂ©giste le chieur de mouches au mur » comme on les appelait lĂ -bas avait Ă©tĂ© asphyxiĂ© avec ses propres bombes de peinture. Une mort horrible. — L’acrylique ne pardonne pas, avait conclu le mĂ©decin, paraphrasant un mauvais titre de roman noir. Et la connerie non plus, avait-il ajoutĂ©. Car le crĂ©tin de bombeur avait taguĂ© la devanture fraĂźchement repeinte d’une libraire d’Art. Vu le message vengeur fuck lui aussi » inscrit sous l’objet du dĂ©lit, le libraire avait Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©, mais relĂąchĂ© sur le champ. L’homme avait un alibi en bĂ©ton il Ă©tait manchot. *** En mai, c’est le hĂ©ros de L’Ile de la Tentation, qui avait perdu la vie Ă  Saint-Tropez. Ce play-boy, impayable auteur de InĂšs, tu as Ă©tĂ© un vrai coup de cƓur lorsque j’ai vu ton visage assis sur le fauteuil » sic avait Ă©tĂ© retrouvĂ© raide mort dans sa loge. — AVC ! Y a pas de doute ! Avait proclamĂ© le mĂ©decin de la production. Toutefois, au regard du de la victime, le futĂ© gendarme de Saint-Tropez en avait doutĂ©. Un cerveau tout neuf ce n’est pas possible ! Avait-il fait remarquer Ă  son chef qui ne s’appelait pas Cruchot. Le brigadier-chef avait donc demandĂ© une autopsie, histoire de vĂ©rifier qu’il y avait bien un cerveau dans la boĂźte crĂąnienne. Une fois rassurĂ©, on se mit Ă  chercher un tueur, puisque le lĂ©giste avait constatĂ© que le gĂ©nie des carpettes avait Ă©tĂ© empoisonnĂ© par injection massive d’encre de Chine dans le coeur. Le visez ici ! » tatouĂ© en forme de cible autour de son tĂ©ton gauche avait donnĂ© des idĂ©es Ă  son bourreau. *** Au milieu de l’étĂ©, ce fut la rĂ©dactrice en chef de VoilĂ , un tabloĂŻd pour couguars en mal de ragots, qu’on retrouva noyĂ©e sous une benne de purin dĂ©posĂ© devant le siĂšge de son journal. Cette malodorante et triste disparition avait fait la Une de ce torche-cul et rapportĂ© beaucoup d’argent aux propriĂ©taires. Il n’y a pas de petits profits
 — Ça me rappelle quelque chose
 s’était amusĂ©e la commissaire Vartan qui feuilletait le tabloĂŻd dans la salle d’attente du dentiste. Page 27, elle apprit Ă©galement qu’on cherchait toujours l’assassin d’un tagueur dans toute la rĂ©gion PACA. *** Ce fut fin aoĂ»t, que Sylvie Vartan particuliĂšrement harcelĂ©e par sa hiĂ©rarchie faute de rĂ©sultats, eut comme une rĂ©vĂ©lation, alors qu’elle participait Ă  une opĂ©ration de sĂ©curisation pour l’inauguration d’une sculpture monumentale commandĂ©e par le ministre de la Culture. L’artiste avait burinĂ© un immense bloc de granit noir en forme de volcan dont le cratĂšre projetait des flots de liquide rouge sang. L’Ɠuvre s’intitulait pompeusement La Culture arrosant les pentes de la vie ». Une question saugrenue lui traversa l’esprit, puis s’y arrĂȘta cette Culture » Ă©tait-elle le vampire se nourrissant du sang de tous ces cadavres ? Pouvait-on relier entre elles ces affaires inexpliquĂ©es ? Était-ce une hypothĂšse dĂ©lirante ? Elle n’en parla Ă  personne, de peur de passer pour une folle. Jusqu’au coup de fil de son patron, fin septembre
 *** — Commissaire ? On vient de trucider Guillaume Anna ! Chez lui
 prĂ©cisa le grand flic. — Pour une fois que c’est du fait Ă  la maison, persifla Sylvie. Et comment s’y est-on pris ? — EtouffĂ© avec des pĂątes alphabet. Une mort cruelle pour celui qui jouait avec les titres plus qu’avec les mots. La commissaire avait bien tentĂ© de lire Si tu savais !’. Déçue, elle avait enchaĂźnĂ© avec Et avant
 ’ Puis avait renoncĂ© avec “Tu m’aimais donc ?”. Chaque annĂ©e Guillaume Anna publiait un gros roman de 400 pages, gros caractĂšres, grosses ficelles et gros tirage. Des millions de lecteurs lisaient sa littĂ©rature, faite de mots simples un peu comme ses idĂ©es. Cuites al dente, les petites lettres ! PrĂ©cisa le patron de son humour noir comme son avenir professionnel. Si on ne retrouve pas ce cinglĂ©, on est cuit Vartan ! Elle se garda de lui parler de son SĂ©rial Killer Kulturel’, comme dĂ©sormais elle l’appelait. Mais sa thĂ©orie prenait forme. — Un auteur jaloux suggĂ©ra-t-il ? Il y a quelques aigris dans le polar, non ? — Je ne crois pas patron. Les Ă©crivains sont des vellĂ©itaires. Aucun cas de romancier devenu assassin dans l’histoire du crime. Mais comme cette hypothĂšse recoupait un peu la sienne, elle se lança. — Moi je penche plutĂŽt pour l’AnnĂ©e de la Culture
 pour un justicier passĂ© Ă  l’acte. Vu ce Ă  quoi servent ce genre d’annĂ©es de cĂ©lĂ©brations, un illuminĂ© a dĂ©cidĂ© d’ĂȘtre plus efficace que l’état. Un peu comme si on zigouillait tous les machos pendant la JournĂ©e de la Femme. Vous voyez ? — Y’aurait un paquet de mecs sur le carreau, se marra le patron
 Bon ! enfin, l’un ou l’autre, dĂ©merdez-vous ! ArrĂȘtez le massacre, Vartan ! C’est ainsi que la commissaire divisionnaire passa les trois derniers mois de l’annĂ©e sur les traces d’un hypothĂ©tique kultur-Killer’ pendant que le ministre de ladite Culture tremblait Ă  l’idĂ©e d’ĂȘtre la prochaine victime. Le patron de Sylvie avait bien tentĂ© de le rassurer, sans y rĂ©ussir. — Avant d’arriver jusqu’à vous Monsieur le Ministre, y encore un paquet de crĂ©tins Ă  abattre ! *** Cette thĂ©orie se confirma le soir du 31 dĂ©cembre 2013. Un forcenĂ© encagoulĂ©, armĂ© d’un Manhurin 357 Magnum et un petit Opinel, avait fait irruption dans le dĂ©cor dAppart-Story. Il portait un tee-shirt imprimĂ© “2013 AnnĂ©e de la Culture”. Panique gĂ©nĂ©rale dans la cĂ©lĂšbre Ă©mission de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ© composĂ©e d’une douzaine de MoĂ»ndires et MoĂ»ndirettes se foutant sur la gueule avant de copuler dans le jacuzzi, et ce, pour la plus grande joie de six millions de tĂ©lĂ©spectateurs au temps de cerveau disponible’ aussi long qu’un dĂ©barquement Ă  Omaha Beach. L’homme avait exigĂ© qu’on garde les faisceaux de diffusion ouverts afin que la France profonde Ă©coute ses revendications. Ce qui compliquait le boulot du RAID, arrivĂ© sur place une heure aprĂšs. InstallĂ©e dans son canapĂ©, la commissaire Vartan observait son Ă©cran, impuissante. Le justicier avait attrapĂ© une blonde aux seins Ă©normes et menaçait de lui faire exploser les prothĂšses avec l’Opinel, tout en exigeant que ses copines ingurgitent un exemplaire de VoilĂ , tandis que les garçons Ă©taient tenus de lire Ă  haute voix des extraits de La SociĂ©tĂ© du Spectacle de Guy Debord. Sylvie aurait pu, une fois encore en rire, mais elle sentait que l’histoire n’allait pas s’arrĂȘter lĂ . Et elle avait eu raison. Quelques minutes avant les douze coups de minuit, les cobayes d’Appart-Story se mirent en tĂȘte de jouer les hĂ©ros puisqu’on leur avait affirmĂ© qu’ils en Ă©taient et tentĂšrent de s’approcher subrepticement du cagoulĂ© assoupi lĂ©gĂšrement. Ce dernier, alertĂ© par les gloussements d’une Ă©cervelĂ©e, avait levĂ© son arme et les avait mis en joue, menaçant. ImmĂ©diatement, le Raid avait ouvert le feu Ă  travers le dĂ©cor de carton-pĂąte, afin de le neutraliser. La connerie avait encore tuĂ© le 357 Magnum Ă©tait un jouet en plastique et le preneur d’otage un vulgaire assistant de production qui pensait obtenir un avancement en faisant Ă  sa directrice cette petite surprise destinĂ©e Ă  booster l’audimat. Trente-cinq millions de tĂ©lĂ©spectateurs avaient assistĂ© Ă  sa mort en direct. Il avait rĂ©ussi. La productrice n’osa pas crier sa joie, car un lofteur plus tĂ©mĂ©raire que les autres, voulant assĂ©ner un coup de boule au preneur d’otage, avait pris en plein front la balle qui avait, un milliĂšme de seconde avant, traversĂ© le crĂąne du forcenĂ©. Un dĂ©gĂąt collatĂ©ral du RAID qui coĂ»ta sa place au ministre de l’IntĂ©rieur. Peu avant minuit, en ce 31 dĂ©cembre, le patron du commissaire Vartan appela le ministre de l’IntĂ©rieur
 qui dĂ©missionna aprĂšs avoir appelĂ© le ministre de la Culture, qui prit la fuite en ThaĂŻlande. Sylvie referma son poste de tĂ©lĂ©vision. Son serial Killer courrait toujours. Elle dĂ©cida d’ouvrir Writer’s Tears le dernier recueil de nouvelles de MickaĂ«l Weil Becker. *** Janvier 2014. Sydney. MickaĂ«l Weil Becker, auteur de science-fiction de renommĂ©e mondiale, relisait la traduction française de Writer’s Tears . En ce dĂ©but janvier, l’Australie Ă©tait une fournaise, les incendies se multipliaient et on commençait Ă  prendre au sĂ©rieux les scientifiques qui depuis des annĂ©es annonçaient ce dĂ©sastre. Mais pour Weil Becker le dĂ©sastre Ă©tait ailleurs. Ce qu’il avait Ă©crit il y a fort longtemps dans l’une de ses nouvelles, intitulĂ©e Lire Tue, venait de se produire Ă  l’autre bout du monde. Mot pour mot, ou presque, car dans son rĂ©cit le preneur d’otage en Ă©tait bien un et contrairement aux supputations de la police il ne s’agissait pas d’un serial-killer, mais bien de citoyens lambda excĂ©dĂ©s par la mĂ©diocritĂ© du Temps. La connerie ambiante avait créé une gĂ©nĂ©ration spontanĂ©e de justiciers. MickaĂ«l Weil Becker pensait avoir Ă©crit une pochade et l’horreur s’était invitĂ©e dans sa littĂ©rature. Il soupira. Fort heureusement, dans sa nouvelle les meurtres cessaient dĂšs la fin de l’AnnĂ©e de la Culture. Ce que MickaĂ«l ignorait... c’est qu’en France, 2014 allait ĂȘtre l’AnnĂ©e de la Justice. CHRISTIAN ROTH - le 21 juillet 2012  Dernier ouvrage paru FIN DE SÉRIE – Polar- Lafon. PubliĂ© sous le nom de Christian Rauth Le polar avec MĂ©lenchon 108 auteurs de polar signent un appel Ă  voter MĂ©lenchon Pour nous, c’est Jean-Luc MĂ©lenchon Renvoyer l’actuel prĂ©sident de la RĂ©publique et la majoritĂ© qui le soutient Ă  l’occasion des Ă©lections de 2012 est une urgence absolue. Cependant, l’expĂ©rience vĂ©cue dans le passĂ© dans notre propre pays et d’autres en cours dans divers pays europĂ©ens, montrent qu’il ne suffit pas de chasser la droite du pouvoir pour que soit menĂ©e une politique rĂ©ellement alternative, visant Ă  une transformation sociale profonde pour davantage d’égalitĂ©, de justice et de libertĂ©. Il faut pour cela partager les richesses sur une base nouvelle, en finir avec la prĂ©caritĂ© et l’insĂ©curitĂ© sociale, reprendre le pouvoir indĂ»ment confisquĂ© par la finance et les banques, aller vers une planification Ă©cologique et des choix Ă©nergĂ©tiques contrĂŽlĂ©s par les citoyens, redonner du sens au travail et produire autrement en mettant l’accent sur ce qui est durable en redonnant toute sa place Ă  l’Humain avec sa part de rĂȘve, construire une autre Europe dans le cadre d’une mondialisation tournĂ©e vers la coopĂ©ration et la paix, faire vivre une RĂ©publique oĂč le peuple exerce le pouvoir pour de bon. On ne pourra y parvenir qu’en mobilisant l’ensemble des forces vives de la sociĂ©tĂ©, sur les lieux de travail, dans les espaces publics, en se nourrissant de l’expĂ©rience que chacun-e s’est forgĂ©e des maniĂšres de rĂ©sister Ă  l’injustice. Le programme et la pratique politiques du Front de gauche et de son candidat commun Jean-Luc MĂ©lenchon ont d’ores et dĂ©jĂ  créé une dynamique nouvelle. Elle redonne corps Ă  l’espoir d’une sociĂ©tĂ© et de rapports humains fondĂ©s sur la solidaritĂ© et la coopĂ©ration. Notre domaine c’est celui du genre policier, du roman noir. Dans nos livres, Ă  notre façon, nous tĂ©moignons de l’état du monde, d’une sociĂ©tĂ© malade du fric et du profit, de l’asservissement des petits au credo des chantres du libĂ©ralisme. C’est bien parce que le roman noir a toujours Ă©tĂ© une littĂ©rature de dĂ©nonciation et de combat, que nos maĂźtres s’appellent Jack London, Dashiell Hammett ou que nous nous engageons aujourd’hui rĂ©solument en disant haut et fort Pour nous c’est le Front de Gauche Pour nous c’est Jean-Luc MĂ©lenchon Roger Martin, GĂ©rard Streiff, Maxime Vivas, Pierre Lemaitre, Antoine Blocier, Jose Noce, Max Obione, Jeanne Desaubry, Michel Embareck, Cedric Fabre, FrĂ©dĂ©ric Bertin-Denis, Christian Rauth, Francis Mizio, Jacques Mondoloni, JĂ©rĂŽme Zolma, Claude Soloy, Philippe Masselot, Christian Robin, Maclo, Jean Pierre Orsi, Jean Paul Ceccaldi, Claudine Aubrun, Jean Pierre Petit, Ricardo Montserrat, Patrick Amand, Francis Pornon, Jerome Leroy, Serguei Dounovetz, Margot D. Marguerite, Yves Bulteau, Roland Sadaune, Jean Paul Jody, Jean Jacques Reboux, Nadine Monfils, Gilles del Pappas, Pierre d’Ovidio, Alain Vince, HervĂ© Le Corre, Jan Thirion, Pierre Filoche, Jacques Bullot, Hugo Buan, Laurent Martin, RenĂ© Merle, François Guilbert, FrĂ©dĂ©ric Prilleux, Xavier-Marie Bonnot, Sophie LoubiĂšre, Michel Maisonneuve, Maxime Gillio, Marcus Malte, Jack Chaboud, Baru, Genevieve Dumaine, Christian Roux, Mario AbsentĂšs-Morisi, Pierre MikaĂŻloff, Sebastien Gendron, Nicole BarromĂ©, Marie Vindy, Harold John Marcus, Eric Neirynck, Gilles Verdet, Lalie Walker, Jean-Pierre Perrin, Renaud Marhic, Olivier Thiebaut, FrĂ©dĂ©rick Houdaer, François Corteggiani scenariste BD, Jean-Pierre Andrevon, Serge Dufoulon, Thierry Reboud, Pierre DomengĂšs, Chantal Montellier, Lilian Bathelot, Pierre Debesson, AndrĂ© Fortin, Roger Facon, Caryl Ferey, Romain Slocombe, Sebastien Doubinsky, Maurice Gouiran, Yal Ayerdhal, Ugo Pandolfi, Petr’Anto Scolca, Arnaud Gobin, Pascal Polisset, Yves Corver, Pascal Martin, LĂ©o Lapointe, Philippe Deblaise, Fabrice Colin, MaĂŻtĂ© PinĂ©ro, Jean-Louis Lafon, Eric Michel, Emile Brami, Guillaume Cherel, Marin Ledun, Patrick Bard, Charlotte Bousquet, Claude MesplĂšde, François Vigne, Jean Vautrin, Patrick Raynal. Se sont associĂ©s Pierre Gauyat, critique de polars, Didier Andreau et Pierre Schuller, animateurs de salon polar. Adresser les signatures Ă  gstreiff
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ï»żRegarder maintenant NoteGenresDrame , Action & Aventure RĂ©alisateur Casting RĂ©sumĂ©1660. Les cĂ©lĂšbres mousquetaires se sont sĂ©parĂ©s. Athos s'est retirĂ© sur ses terres et consacre son temps Ă  l'Ă©ducation de son fils Raoul; Aramis est devenu gĂ©nĂ©ral des jĂ©suites; Porthos se languit en attendant l'occasion de ferrailler. Seul d'Artagnan est restĂ© fidĂšle au roi qui l'a fait capitaine des mousquetaires. Le roi va les rĂ©unir Ă  nouveau mais sans le vouloir. Il s'est amourachĂ© de la fiancĂ©e de Raoul, le fils d'Athos, et pour se dĂ©barrasser de ce rival, il l'envoie au front, le condamnant Ă  une mort certaine. Athos jure alors de venger son OffersOĂč regarder L'Homme au masque de fer en streaming complet et lĂ©gal ?En ce moment, vous pouvez regarder "L'Homme au masque de fer" en streaming sur Canal+. 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De Voltaire Ă  Randam Wallace, le secret de l'Homme au masque de Fer a passionnĂ© des gĂ©nĂ©rations, suscitant bien des thĂ©ories. Mais un historien amĂ©ricain, Paul Sonnino vient de publier un livre, "The search for the man in the iron mask", proposant une solution Ă  ce mystĂšre. Une Ă©nigme vieille de 350 ans remontant au rĂšgne de Louis XIV, le Roi Soleil. La lĂ©gende raconte qu'un homme a Ă©tĂ© enfermĂ© dans diffĂ©rentes prisons de France pour finir ses jours Ă  la Bastille mais que son visage est toujours restĂ© masquĂ© en public. IncarcĂ©rĂ© plus de 30 ans jusqu'Ă  sa mort en 1703, trĂšs peu de personnes connaissaient son identitĂ© de son vivant. Louis XIV a Ă©tĂ© le dernier Ă  la connaĂźtre. Lors du dĂ©cĂšs du roi, cette identitĂ© est donc tombĂ©e dans l' centaines de suppositionsDe nombreuses personnes se sont appropriĂ©es ce mythe et ont Ă©tayĂ© de multiples hypothĂšses quant Ă  l'identitĂ© du prisonnier. La plus cĂ©lĂšbre propose que l'homme masquĂ© soit le frĂšre jumeau du roi. Une thĂ©orie rejetĂ©e il y a des annĂ©es, comme le souligne l'historien Paul Sonnino. "Des historiens sĂ©rieux ont rĂ©futĂ© il y a longtemps la lĂ©gende popularisĂ©e par Voltaire et Alexandre Dumas sur un frĂšre jumeau de Louis XIV. Ils sont Ă  peu prĂšs d'accord que son nom Ă©tait Eustache Dauger", explique-t-il. Mais qui Ă©tait cet homme ? AprĂšs des annĂ©es de recherches, Paul Sonnino dĂ©voile la rĂ©ponse dans son roman aux allures de polar. Il nous entraĂźne sur la piste d'Eustache Dauger, un valet du cardinal Mazarin qui aurait parlĂ© au mauvais moment Ă  la mauvaise personne. Il aurait en effet soupçonnĂ© le cardinal, alors principal ministre d’État, d'avoir dĂ©tournĂ© de l'argent provenant de la fortune royale anglaise. Le problĂšme est que le roi Louis XIV Ă©tait Ă  l'Ă©poque en pourparler avec la royautĂ© pour une collaboration de vol effectuĂ© par le cardinal aurait donc pu annuler les nĂ©gociations. Et le fauteur de trouble a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ© et emprisonnĂ©. "Quand il a Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©, on l'a informĂ© que s'il rĂ©vĂ©lait son identitĂ© Ă  quiconque, il serait immĂ©diatement tuĂ©", rĂ©vĂšle l' histoire scĂ©narisĂ©ePour Paul Sonnino, Dauger aurait donc subi les consĂ©quences d'une politique royale. Une thĂ©orie qui se tient car l'usage Ă  l'Ă©poque Ă©tait d'emprisonner les personnes dĂ©tenant un secret d’État dans les prisons et de les faire porter un masque. Cependant, rien Ă  voir avec la lĂ©gende, "il portait occasionnellement un masque et quand il le portait c'Ă©tait un masque en velours, pas en fer", commente le spĂ©cialiste. Si son livre prend plusieurs fois une tournure scĂ©narisĂ©e, les informations s'appuient sur de longues et sĂ©rieuses recherches historiques. "J'ai toujours Ă©tĂ© sceptique sur la pratique de l'histoire. Je me limite en essayant de garder en mĂ©moire le passĂ© en restant aussi dĂ©tachĂ© de toute fantaisie dans la mesure oĂč les preuves me le permettent", conclut Sonino. 14juil. 2020 - [HD] L'homme au masque de fer 1998 Streaming VF Film Complet | Budget de Production : $326,625,575. Taille : 549 MB. Longueur : 2h 44 min. Revenu : $161,599,327. Langage : Tsonga (ts-TS) - Français (fr-FR). QualitĂ© : .TIX ★1920 x 1080 ★DVDrip. Genres : Relation Amicale, Action, Aventure, Drame, Histoire. SociĂ©tĂ©s de production : FIT Productions - United Aventure 1998 2 h 12 min iTunes Disponible sur myCANAL, Molotov TV, iTunes "Tous pour un, et un pour tous" les trois mousquetaires et d'Artagnan se retrouvent dans ce rĂ©cit de cape et d'Ă©pĂ©e, d'action et d'aventure. LĂ©onardo DiCaprio joue de double rĂŽle du cruel Louis XIV et celui du mystĂ©rieux prisonnier qui porte le masque de fer. Paris meurt de faim, mais le roi de France s'intĂ©resse d'avantage aux affaires des dĂ©bauchĂ©s de la court. Aventure 1998 2 h 12 min iTunes Tout public En vedette Leonardo DiCaprio, Jeremy Irons, John Malkovich RĂ©alisation Randall Wallace Lhomme au masque de fer Film Complet Streaming Français Gratuit Bluray #1080px, #720px, #BrRip, #DvdRip. 1660. Les cĂ©lĂšbres mousquetaires se sont sĂ©parĂ©s. Athos s'est retirĂ© sur ses terres et consacre son temps Ă  l'Ă©ducation de son fils Raoul; Aramis est devenu gĂ©nĂ©ral des jĂ©suites; Porthos se languit en attendant l'occasion de GGng.
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